Article 1 sur 5 Manières de boire des jivaros Achuars

La bière cosmique des Achuar (Jivaro) d'Equateur.

 

Achuars

A cheval sur l'Equateur et le Pérou, la grande famille Jivaro comprend les Shuar, les Ashuar, les Aguaruna et les Huambissa. Jusqu'à une époque récente (vers 1970) les Achuars avaient peu subi les conséquences du front de colonisation, contrairement aux Shuars sédentarisés de force sur le sol péruvien par les églises méthodistes américaines. Leur réputation terrifiante et infondée de réducteurs de têtes humaines les a protégé autant que l'isolement du haut bassin de l'Amazone. Contrairement aux Shuar, les Ashuar ont abandonné cette coutume.

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Carte des ethnies jivaros entre Equateur et Pérou : Shuar, Achuar, Aguaruna, Huambissa.

Quelques 70 à 80.000 Jivaros se répartissent à l'est de la Cordillère andine sur un territoire grand comme la Belgique. Ils vivent le long du Marange, en plein bassin amazonien. La faible densité de population rend compte de leur habitat, de leur vie semi-sédentaire et en partie de leurs conceptions du monde. Les Achuars proprement dit étaient env. 5.000 en 1970 [1].

Les Achuars pratiquent le défrichement et le brûlis pour cultiver le manioc doux et les plantes potagères. Ils s'installent ainsi quelques années le long des cours d'eau, puis partent plus loin quand le sol est épuisé. Les variations saisonnières très limités se résument à une plus faible pluviométrie de septembre à janvier.

Les Achuars pêchent et chassent. Leur alimentation dépend des saisons. Au temps des basses eaux, entre août et janvier, la pêche est abondante. En mars débute le "temps de la graisse de singe laineux", période de fruits abondants, des animaux sauvages bien nourris et des chasses fructueuses. Le manioc se cultive toute l'année dans les jardins. C'est la base indispensable pour brasser la bière de manioc appréciée des Achuars. La bière n'est pas seulement leur boisson quotidienne. Cette boisson est porteuse de symboliques puissantes : le manioc, la fermentation tumultueuse de la bière et l'ivresse réjouissante. Chacun de ses traits est mis en correspondance avec un élément de leur cosmogonie.

Les amérindiens de la famille ethno-linguistique Jivaro connaissent tous la bière de manioc doux. Le manioc est la plante alimentaire centrale du bassin amazonien. La bière de manioc se nomme nijiamanch chez les Jivaros.

La particularité des Jivaros repose sur leur voisinage avec les peuples amérindiens de la Cordillère des Andes, à la hauteur de l'Equateur, peuples cultivateurs de maïs, de pomme de terre et de quinoa dont ils font leurs propres bières (akha en quechua). La culture des céréales et des graminées est plus adaptée aux vallées andines, celle du manioc au climat tropical amazonien et sa forêt dense.

Au début de la colonisation espagnole des pays andins, les bières de grains ont été baptisées chicha, mot hispano-quechua forgé au 16ème siècle pour désigner toutes les bières amérindiennes. Les Espagnols n'avaient pas de mot pour nommer ce groupe de boissons fermentées si étrangère à leurs coutumes [2]. De leur côté, les peuples amérindiens d'origines ethnolinguistiques différentes se sont trouvés en contact économique direct avec l'autorité coloniale espagnole, après la chute du pouvoir central des Incas vers 1530. Les villes de l'empire inca sont devenues des cités coloniales (Lima, Quito, Potosi) où se côtoyaient amérindiens, métis et colons espagnols. Les bières amérindiennes étaient vendues aux colons. Les amérindiens d'origine et de langue diverses ont eu besoin de forger un créole quechua-aymara-espagnol pour pratiquer ce petit commerce de brasserie. Les bières traditionnelles de maïs, quinoa et pomme de terre ont été baptisées chicha; le brassage et la vente de chicha se sont appelés chicheria (Histoire générale).

La marginalisation des cultures amérindiennes a fait le reste dans la littérature espagnole et métis. La littérature moderne utilise "chicha" pour englober toutes les bières amérindiennes du continent, celles de maïs, de quinoa, de manioc, de patate douce ou de taro, et du même coup la bière de manioc des peuples Jivaros.

Achuar cassava-beer nijiamanch

Il faut s'en tenir au terme jivaro nijiamanch par lequel les Achuars nomment leur bière de manioc doux. Derrière ce mot se cachent des manières de boire la bière, de la brasser, des règles sociales qui font intervenir la bière, et même des cosmologies qui sont propres à l'univers des Ashuar ou communes aux Jivaros. Le générique colonial "chicha" brouille les pistes et poussent vers des comparaisons abusives. Quoi de commun entre la "chicha" au sein de l'organisation politique impériale des Incas et la "chicha" d'une société sans Etat comme celle des Achuars ?

 

 

[1] Le tableau idylique des groupes ethniques amérindiens préservant leurs modes de vie ne doit pas cacher lla réalité. Les multinationales du pétrole, des métaux-rares et de l'agro-alimentaire ravagent leurs territoires. Les pollutions au plomb et au cadmium contaminent les sols et s'accumulent dans le sang des Shuars, provoquant maladies, difformités et avortements. L'extermination physique et culturelle que les conquistadors espagnols n'ont pas réussie sera accomplie par ces multinationales, sous l'oeil bienveillant des gouvernements et des milliards de consommateurs dont elles satisfont les besoins (pétrole, smartphones, huiles, ...).

[2] Cerveza sera d'un usage plus tardif et réservé à la bière industrielle, d'abord importée d'Europe puis brassée sur place. Les relations en langue espagnole du 16ème siècle utilisent plus volontiers la périphrase "vino de maiz" pour désigner les bières de maïs, avant que le générique "chicha" ne s'impose.

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