La bière au sein des premiers royaumes africains.
Il n'existe pas à ce jour de témoignages sur la brasserie en Afrique noire pour l'antiquité, si l'on excepte les échanges entre l'Egypte et la haute vallée du Nil dont le peuplement est sans conteste africain. C'est le pays de Kush qui s'étend au sud de la 2ème cataracte.
Le débat sur les racines protohistoriques de la civilisation égyptienne est vif (Afrique noire? Afrique du Nord? Proche-Orient? Métissage très certainement ). Métissage des peuples mais également interactions ou combinaisons des techniques, des plantes et des pratiques alimentaires. L'héritage africain est présent dans les techniques de brassage égyptiennes de l'ancien empire.
Vers -2250, le pharaon Mérenrê Ier commande au prince Hirkhouf, nomarque d'Aswan, d'explorer le Sud du royaume égyptien. Quatre expéditions successives empruntent des pistes inconnues au-delà de la seconde cataracte. Chaque fois, le prince traverse les petits royaumes nubiens de Satju, Irtjet et Wawat. Au retour de sa 3ème expédition, la force militaire égyptienne impressionne tant ces royaumes qu’ils dépêchent par bateau des gâteaux, des pains, de la bière et du vin, comme cadeau de conciliation[1]. La bière est probablement à base de blé, de teff, de sorgho (doura) ou d’éleusine. Le vin provient de la sève ou des dattes de palmier. Ces deux types de boissons fermentées sont connus des Egyptiens qui les identifient sans erreur. Ceci prouve que la bière est connue et brassée en Afrique Noire vers -2500, du moins en Afrique orientale et dans le bassin du Nil au sud des 3ème et 4ème cataractes, à hauteur de la ville actuelle de Khartoum.
Les sociétés prédynastiques de Nubie et de Haute-Égypte sont ethniquement et culturellement proches. Vers -3300, elles évoluent vers des royaumes centrés respectivement autour de Hierakonpolis et Kerma. Les relations entre l'Egypte et la Nubie restent étroites jusqu'au milieu du 1er millénaire[2]. Cette histoire commune forge une forte et durable tradition brassicole depuis le delta du Nil jusqu'à sa 4ème cataracte du Nil et au-delà, en plein continent africain.
A partir du 1er millénaire de notre ère, les témoignages de voyageurs et marchands arabes ou musulmans nord-africains abondent sur la consommation des bières de blé, de teff ou d’éleusine au Soudan[3] et en Ethiopie. Ces témoignages sont essentiels car ils déplacent le regard vers l'Afrique de l'Ouest, l'un des foyers de domestication du sorgho, du riz africain et d'autres graminées. Ce sont les sources d'amidon qui alimentent les traditions brassicoles des peuples d'Afrique occidentale depuis des siècles.
[1] Miriam Lichtheim, Ancient Egyptian Literature. Vol. I The Old and Middle Kingdoms, 2006, Berkeley, University of California Press, p. 26. (Miriam_Lichtheim_Ancient_Egyptian_Literature_Vol_I). Et une transcription de cette inscription sur un mur de la tombe de Hirkhouf (porte d'entrée, montant gauche, neuvième rangée) ⇒ projetrosette.info (corpus de textes).
« [la 3ème expédition retourne vers l'Egypte] Et, quand le serviteur que je suis navigua vers le Nord jusqu'à la Résidence [de Pharaon], on fit venir le Prince, l'Ami unique, le responsable du Double Domaine de l'eau fraîche, Khouni, à ma rencontre, dans des bateaux chargés de vin de datte, pain-mésouq, pains et cruches de bière. » Khouni est un prince du royaume d'Irtjet. La scène se déroule vers la Haute-Nubie, entre les 3ème et 4ème cataractes du Nil.
[2] Les pharaons égyptiens entreprennent la conquête de la Nubie, le « pays de Koush » (correspondant à peu près au nord du Soudan actuel), et détruisent le royaume de Kerma sous Ahmôsis Ier (-1550 à -1525) puis Amenhotep Ier (-1525 à -1503). Les armées égyptiennes parviennent jusqu'à la quatrième cataracte du Nil. Elles contrôlent les routes commerciales et les mines d'or du désert oriental. Mais vers -700, le royaume koushite égyptianisé de Napata (sa capitale dans le Djebel Barkal) est à son apogée. Il réclame l'héritage de l'Egypte alors totalement divisée et la conquiert. Les souverains de Napata règnent alors à la fois sur le royaume de Koush et celui d'Égypte (XXVème dynastie). L'ensemble s'étend de Khartoum jusqu'au delta du Nil. Cet empire prend fin à la seconde moitié du VIIe siècle av. J.-C. avec la conquête de l'Égypte par les Assyriens. Le royaume qui conserve Napata comme capitale retrouve alors ses frontières d'origine. Vers -591, le pharaon Psammétique II envoie une expédition contre le royaume de Koush qui détruit ses villes sacrées et réduit à néant les prétentions des Koushites sur l'Egypte.
[3] Le Soudan désigne ici le "bilad al sudan", le "pays des Noirs" vu par les marchands et savants musulmans au Moyen-Age. Il s'étend au sud du Sahara depuis la côte atlantique jusqu'aux rives du Nil, selon les connaissances géographiques de l'époque et les conquêtes arabes en Afrique du Nord à partir du 8ème siècle.