La bière africaine dans le bassin tchadien depuis le 11ème siècle.
Etude très illustrée de 134 pages sur les bières traditionnelles africaines, les ingrédients et techniques de brassage, et la confrontation entre ethnies panthéistes du Nord-Cameroun et royaumes islaminés (Bornou, Kanem, Wandala, Baguirmi, Caliphat de Sokoto, etc.) .
Cette région d'Afrique possède une histoire mouvementée et documentée depuis le 11ème siècle. Cette conjoncture exceptionnelle permet de retracer une histoire assez complète de la brasserie traditionnelle africaine, détachée du regard colonial et fondée sur des documents écrits et des témoignages africains (traditions orales). Cette histoire fait ressortir une confrontation millénaire entre 2 systèmes socio-politiques antagonistes. Celui des ethnies du bassin tchadien repose sur les céréales, la production alimentaire autosuffisante, des structures sociales horizontales, et la bière comme boisson de la cohésion sociale, des rituels et des cérémonies collectives annuelles. Celui des royaumes islamisés, prédateurs par nature, repose sur l'esclavage des "paiens", le commerce esclavagiste trans-saharien et des pouvoirs politiques centralisés.
Cette étude examine les points suivants :
- Pourquoi brasse-t-on de la bière dans le bassin tchadien ?
- Le socle matériel pour brasser la bière : céréales, tubercules, légumineux.
- Les bières de céréales : éleusine, mils, fonios, sorghos, riz, maïs.
- Bières de tubercules et de racines amylacées du bassin tchadien.
- Les bières de légumineuses en Afrique soudanienne.
- Les simili-bières de la région tchadienne.
- Les boissons fermentées de famine du bassin tchadien
- Les sources d’amidon et les méthodes de brassage du bassin tchadien.
- Socio-politiques et traditions brassicoles du bassin tchadien.
- Protohistoire, complexité sociale et traditions brassicoles naissantes.
- Les sociétés panthéistes modernes et leurs traditions brassicoles.
- La bière et l’économie prédatrice des sociétés africaines islamisées.
- L’interdiction des boissons fermentées vise d’abord les rituels.
- La chasse aux esclaves et la géopolitique du bassin tchadien.
- La production alimentaire est assurée par les esclaves.
- Musulmans chasseurs d’esclaves mais aussi buveurs de bière.
- Une ethnogenèse de l’esclavage dans le bassin tchadien ?
- La bière dans l’économie et la religion des monts Mandara.
- Les monts Mandara, refuge et terre-promise des « Montagnards ».
- La bière chez les Mafa en 1985-2000 (Müller-Kosack).
- La bière chez les Mofu-Diamaré en 1968-1988 (Vincent, 1975).
- La bière des jumeaux chez les Mofu, les Giziga et les Zulgo.
- La bière chez les Kapsiki en 1971-1973 (van Beek).
- La bière chez les Mada en 1956-58 (Guingnet).
- La bière chez les Hidé (Xdi) en 1969-70 (Eguchi).
- La bière des Margi dans le Mandara occidental, 1959-1987 (Vaughan).
- La bière dans le « triangle des petits yaérés ».
- La bière chez les Tupuri 1950-2000 (Masseyeff & al., de Garine).
- La bière des Muzey et des Masa, 1962-63, 1968-2010 (de Garine).
- La bière chez les Duupa du massif de Poli (Garine).
- Ivresse de bière et débordements de violence ?
- Migration de peuples, diffusion de plantes et technique de brassage.
⇩ Ch. BERGER, La bière africaine autour du lac Tchad - 2022.pdf ⇩
Résumé :
Cette histoire de la bière regarde vers une région africaine englobant le Nord du Nigéria, du Cameroun et le Nord-Ouest du Tchad, c’est-à-dire le bassin autrefois occupé par le gigantesque lac Tchad ou méga-Tchad. La bière dont il est question est brassée sur le sol africain depuis plusieurs millénaires , bien avant sa version industrielle venue en Afrique avec les colonisations européennes, celle que l’on boit communément de nos jours dans la région. La bière traditionnelle africaine a été sur une très longue période, et est encore, partie-prenante dans l’économie politique des sociétés africaines du bassin tchadien.
Ce qui nous mène vers un deuxième constat : la brasserie traditionnelle africaine a une histoire. L’expression désigne l’ensemble des savoirs techniques, des phénomènes sociaux et religieux impliquant spécifiquement la bière. La bière traditionnelle africaine ne se réduit pas à des techniques de brassage, ni même à des manières de boire. Elle irrigue de vastes pans de la vie collective : la sphère religieuse, le champ politique, les échanges économiques, les structures sociales, etc. Les traditions brassicoles africaines sont aussi changeantes et polymorphes que les autres manifestations de l’histoire sociale africaine. La bière africaine possède autant de lettres de noblesse que la bière occidentale et mérite que son histoire soit écrite : projet considérable ébauché par des spécialistes de l’Afrique depuis les années 1980.
Pourquoi le bassin tchadien ? Sous l’angle de l’histoire africaine, cette région se compare au bassin du Niger, à l’Afrique orientale (Ethiopie, Soudan) ou celle des Grands-Lacs (Ouganda, Rwanda, Burundi, Nord-Tanzanie) (Histoire Générale de l’Afrique vol. IV, 1985). Toutes ces régions, où la présence ancestrale de la bière et un riche passé socio-politique se conjuguent, invitent à étudier leurs traditions brassicoles. Le bassin tchadien hérite d’une géopolitique mouvementée remontant au 11ème siècle, ponctuée par la fondation de royaumes plus ou moins pérennes, par la confrontation entre populations panthéistes et islamisées, sur fond de profondes évolutions techniques, sociales et politiques. Cette épaisseur historique a généré une riche documentation d’origine africaine dès le 16ème siècle (Ahmed-Baba, Tarikh el-fettach, Tarikh es-Soudan, Ibn Furtu, Chroniques du Bornou, …) et aux 18-19ème siècle (Usman dan Fodio, Bello, …) puis coloniale (Denham, Barth, Clapperton, …). Elle a suscité depuis le 20ème siècle l’étude approfondie de cette région d’Afrique, son histoire, sa géopolitique et son ethnologie.
La bière est l’un des fils rouges qui relie les sociétés à la fois complexes et très différentes du bassin tchadien dans la longue durée. Son histoire convoque des problématiques essentielles : l’évolution des plantes cultivées, la géopolitique du bassin tchadien, les migrations de peuples, de techniques et d’idées, la confrontation millénaire entre sociétés panthéistes et islamisées. La question des boissons fermentées est au cœur de ces évolutions et de ces conflits multiséculaires ; surtout la principale d’entre elles, la bière. Elle cristallise des enjeux politico-économiques critiques pour des peuples qui se nourrissent principalement des céréales avec lesquelles la bière est brassée.
En Afrique comme ailleurs, la bière cristallise trois dimensions majeures de l’histoire humaine : technologique, socio-économique, religieuse. Les traditions brassicoles du bassin tchadien reposent sur ces trois fondamentaux. Pas de bière sans amidon. Céréaliculture, techniques de brassage et organisations sociales forment l’épine dorsale d’une civilisation africaine de la bière. L’économie sociale de la bière ne se comprend pas sans l’omniprésence des céréales et des autres sources d’amidon cultivées ou sauvages (chap. 3), sans les techniques alimentaires (chap. 4), les structures sociales (chap. 5), les logiques festives, et in fine les croyances et l’un de leur principal support matériel, la bière (ivresse festive, libations rituelles, cérémonies agraires liées au cycle agricole, culte des ancêtres, etc.) (chap. 6, 7 et 8).
Les tendances politiques lourdes de cette région depuis le 11ème siècle sont marquées par l’affrontement structurel entre élites islamisées abstinentes et peuples panthéistes brasseurs de bière. Au fil des siècles, la question des boissons fermentées, la bière principalement, est devenue conflictuelle. Elle scelle un divorce plus radical entre l’économie productrice des panthéistes et l’économie prédatrice des musulmans et son système esclavagiste institutionnalisé. Le clivage entre la bière et le lait traduit le drame qui ravage l’Afrique depuis plus d’un millénaire : la chasse aux esclaves « païens ». Cette étude met en lumière l’économie politique qui a durablement marqué l’histoire de la bière dans l’Afrique soudanienne depuis le 11ème siècle.
Une archéologie de la bière dans le bassin tchadien est ébauchée grâce aux études des spécialistes de cette région. Elles décrivent l’économie sociale de la bière parmi deux groupes de populations : celui des monts Mandara et celui de la plaine inondable du sud-est (Diamaré). Ces deux écosystèmes ont servi de refuge contre les razzias esclavagistes mais également de terre promise pour des agriculteurs inventifs dont la boisson culturelle était – et est encore – la bière.
Pour conclure sur un phénomène historique de longue durée, des migrants en majorité panthéistes ont fui par vagues vers le sud les razzias d’esclaves menées dans la zone soudanienne par les royaumes islamisés (chap. 10). Ils ont rencontré de nouvelles plantes (maïs, manioc, patate douce), de nouvelles techniques de brassage, de nouveaux écosystèmes (la forêt sèche puis la forêt humide plus au sud), des organisations sociales plus stratifiées (royaumes Bamoun et Kwararafa, chefferies Bamiléké). Au sud du bassin tchadien, ces migrations ont bousculé ou adopté les traditions brassicoles locales. A une échelle plus large, la géographie de la bière de l’ensemble « Centre-Cameroun + Sud-Tchad + Centre-Afrique » n’a cessé de se reconfigurer entre bières de céréales et bières de tubercules pour inventer de nouveaux procédés de brassage. Ces évolutions techniques sont le reflet des grandes mutations sociales qui ont eu lieu au cours des trois derniers siècles dans cette partie de l'Afrique.
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