La Brasserie des cités-Etats et premiers royaumes.
Les communautés agraires du néolithique se regroupent en villages plus ou moins permanents. Puis des groupes humains fondent, au fil des millénaires des agglomérations plus importantes. Les plus anciennes ont été découvertes au Proche-Orient, par exemple : Jericho (8000-7000) en Palestine, Çatal Höyük (6500-5700) sur la bordure méridionale de l'Anatolie, Oueili (6500-5500) dans le delta de l'Euphrate.
A ce stade, le village s'agrandit au milieu de son territoire agricole. Habitants et agriculteurs sont, sinon les mêmes personnes, du moins membres des mêmes entités familiales élargies. Avec la proximité sociale et physique des agriculteurs-pasteurs regroupés dans un même village, la décision de consacrer des grains à la bière, de fabriquer la boisson fermentée et de la boire collectivement dépend de ceux qui cultivent, moissonnent, gardent les greniers et forment un même groupe humain. Au centre du village trônent les structures de stockage (greniers, silos). Elles sont collectives et ne sont pas accaparées par un groupe social, selon toute vraisemblance.
Dans ce contexte « égalitaire » apparaissent les signes avant-coureurs de la différenciation sociale (bâtiments de grande dimension, objets rares, premier artisanat ostentatoire, parures funéraires). Les causes et les mécanismes n’en sont pas toujours clairs : croissance démographique, réseaux d’échanges élargis, spécialisation économique des sites, surplus de grains captés pour l’entretien de groupes non-productifs, etc. Ou une combinaison dynamique de ces facteurs avec des stratégies locales ?
L’émergence des cités-états coïncide avec des évolutions culturelles et techniques considérables : écriture et calcul, construction monumentale (palais, temples, fortifications), travaux publics (irrigation, terrassement), vie urbaine, hiérarchisation sociale, roue, araire, animaux de bâts, métallurgie du bronze et du cuivre, réseaux commerciaux élargis [1].
Il faut ajouter à cette liste l'accélération technique que connaît la brasserie. La bière est née avant l'apparition des cités-Etats. Mais l'émergence et la montée en puissance politique de ces dernières renforcent le rôle de la bière en tant que boisson fermentée à base de grains. Toutes ces sociétés cultivent massivement les céréales. Partout, les grains font office de monnaie pour les transactions économiques et servent de référence pour les échanges sociaux. La brasserie est porteuse d'une technique qui permet de convertir des grains bruts en une boisson à fort potentiel social. Boisson fermentée des élites politique et religieuse, boisson offerte aux divinités protectrices des cités, boisson-ration du personnel qui fait fonctionner ces constructions sociales lourdes et complexes.
Certaines villes grandissent et forment à la fin du 4ème millénaire le noyau de cités-états puissantes.
Inscriptions sur des tablettes de bronze (vallée de l'Indus). | Ville de Harrappa dans la vallée de l'Indus | Ville de Shahr-i Sokhta en Iran. |
Au Proche-Orient, les premières voient le jour à la fin du 4ème millénaire et se multiplient au millénaire suivant : Memphis en Egypte; Shahr i-Sokhta en Iran (3200-2200); Harrapa (2600-1700), Mohenjo-Daro (2600-1800), Chanhu Daro (2500-1700), Lothal (2400-1900), Dholavira (2600-1750) en Inde.
En Chine, la phase d’urbanisation dans le bassin moyen du Huang-He semble plus tardive (milieu 2ème millénaire av. n. ère).
En Amérique, les cités-états mayas ou les premières cités andines n’apparaissent pas avant le 1er millénaire.
Une cité-état, c'est un cœur urbain militaire, religieux et commercial appuyé sur un territoire agricole qu’il défend et qui garantit en retour son approvisionnement alimentaire. La cité-état fonctionne comme un centre de décision. Un éloignement social et physique, voire une séparation, se crée entre la cité politique et la population des cultivateurs. C'est une différence sociale fondamentale avec l'unité et l'homogénéité de la structure villageoise.
Cette marche vers les cités-états dans certaines régions du monde implique deux phénomènes qui ont laissé des traces matérielles :
- l’apparition de vastes domaines agricoles pourvoyeurs de grains pour les nouveaux centres urbains. Mais cette dépendance économique (la survie des habitants des villes en dépend) est sous le contrôle d'une classe politique et militaire. Cette élite a justifié son rôle par des systèmes religieux et politiques qui ont laissé des traces dans les traditions littéraires postérieures.
- l’invention de nouveaux outils pour gérer les flux de denrées, et d'abord les grains acheminés des champs (centres agricoles de culture et de moisson des céréales) vers la ville (centre de consommation des grains sous forme de pain et de bière) : unités de calcul et systèmes d'écriture, documents comptables, contenants physique stéréotypés en terre cuite pour les grains et les liquides, systèmes de mesure, marques de propriété foncière, etc. Ces objets techniques se retrouvent par milliers aux cours des fouilles archéologiques.
Ces deux adaptations permettent de suivre les évolutions de la brasserie, selon les aires culturelles, sur des périodes de plusieurs millénaires.
[1] Les premières cités-Etats n'ont pas toutes inventés les mêmes techniques. La géographie et leurs développements culturels sont différents.
Les Amérindiens n'ont pas besoin de la roue, mais déploient en revanche une extraordinaire activité de domestication des plantes. La moitié des grandes cultures et des légumes qui alimentent la planète a été rapportée des Amériques. Nous devons leur domestication aux compétences inestimables des peuples amérindiens.
On s'interroge pour savoir si les inscriptions de la vallée de l'Indus reposent sur une véritable écriture.
La concentration urbaine chinoise le long du fleuve Huang-He et ses affluents ne semble pas être aussi forte il y a 4000 ans que sur les rives de l'Euphrate ou du Nil. Par exemple Erlitou (1900 à 1600 av. JC), Erligang (1700 à 1300 av. JC), ou Xiaotun dans la province d'Anyang (1300 à 1050 env.).