Cette page rend hommage à Philippe Voluer, historien de la brasserie française, fondateur du Musée de la Bière de Stenay (Lorraine, France) et passionné par l'histoire de cette boisson plusieurs fois millénaire.
Philippe Voluer est décédé en octobre 2013 à l'âge de 63 ans, après avoir consacré une grande partie de sa vie à des recherches historiques approfondies sur la brasserie française. Ses multiples activités l'ont conduit à fonder le Musée de la Bière de Stenay. Au travers de conférences, émissions radio et expositions, il a familiarisé le grand public à la riche histoire de la bière, son rôle économique et son importance sociale. Philippe Voluer a magistralement contribué à rendre ses lettres de noblesse à une boisson que l'honorable tradition vinicole française laisse volontiers dans l'ombre.
La qualité de son travail d'historien, puisant aux sources documentaires locales et régionales, place ses publications au rang des meilleures recherches européennes en la matière. Elles se comparent aux travaux de ses collègues allemands ou britanniques par la richesse des informations, la rigueur de la méthode, le contrôle des sources documentaires, l'analyse historique et la pertinence de l'iconographie.
Le patient et minutieux travail de l'historien-archiviste est rarement couronné par la renommée. Philippe Voluer n'écrivait ni des romans historiques ni des docu-fictions sur la bière[1]. Son travail pose les fondements d'une histoire de la brasserie française basée sur les faits, les documents et les chronologies authentiques. D'autres historiens de la bière lui emboîteront le pas. Tous devront reconnaître leur dette à l'égard de cet historien scrupuleux et enthousiaste.
Philippe Voluer ne s'est pas contenté d'écrire sur la bière. Animé d'une profonde vocation pédagogique, il a fondé en 1986 le Musée de la Bière de Stenay, l'un des premiers musée français consacré à la brasserie. Il a ainsi mis à la disposition du public des collections d'outils et de machines de brasseurs, des affiches et des iconographies, des documents et des collections qu'il avait en grande partie contribué à rassembler. Il a animé ce musée plusieurs années, trouvant l'énergie de mener en parallèle ses travaux de chercheur et d'historien de la bière.
Son inlassable action a sauvé de la destruction du matériel de brasserie, des outils et des documents lors des fermetures de brasserie. Ses initiatives et ses liens d'amitiés avec de nombreux brasseurs ont permis de tels sauvetages, à une époque où on parlait peu de préserver notre patrimoine industriel.
PHILIPPE VOLUER, HISTORIEN de la BRASSERIE
Pour comprendre l'apport de cet historien, il faut relire les travaux sur la bière publiés en France dans les années 80-90. La France, pays des historiens, ne manquent pas de publications remarquables. Mais en ce qui concerne la bière, la plupart des ouvrages se contentent de compiler d'anciens livres, de recopier des faits-légendes, ou de ressasser l'imagerie populaire, ses clichés et ses préjugés sur la boisson pétillante et mousseuse. La bière ne sort pas du folklore et de la pseudo-histoire. Les études savantes et sérieuses sont réservées au vin, au thé ou d'autres boissons jugées plus prestigieuses que la bière.
De leur côté, les historiens se contentent de publier des monographies sur les brasseries et les dynasties de brasseurs, le plus souvent commanditaires de leurs travaux. Philippe Voluer publie lui-même entre 1996 et 2012 trois livrets consacrés à l'histoire d'une brasserie[2]. Ces précieuses monographies fournissent en général un matériau utile et riche. Mais elles ne dressent pas un tableau historique régional ou national de la bière. L'historien voudrait replacer toutes ces aventures familiales et industrielles dans le contexte plus large des sociétés régionales ou des histoires nationales.
Telle est en quelques mots la situation des études sur la bière, dans la France des années 80. Philippe Voluer, l'historien de métier, va prendre cette question à bras le corps et lui consacrer 30 ans de sa vie.
(1) Fixer un cadre géographique et chronologique précis. Philippe Voluer limite volontairement ses études à la Lorraine, la Meuse, l'Alsace, la Champagne ou les Ardennes. Il étudie en priorité les 19ème et 20ème siècles, âge d'or de la brasserie industrielle. Ses introductions sur la bière du Moyen-âge jusqu'au 18ème siècle empruntent à la littérature. Ces dernières études, notamment La Bière en Lorraine à l'époque des Lumières. L'exemple de Nancy et de Stenay (2005), font une brillante incursion dans le 18ème siècle français. L'historien ne s'autorisera cette liberté qu'après avoir réuni une ample documentation sur cette époque.
(2) Collecter et vérifier les sources documentaires. Archiviste et historien de formation, Ph. Voluer n'avait aucun mal à se mouvoir dans le monde des fonds documentaires départementaux ou communaux, voire des archives privées des brasseries industrielles. Mais la tâche était colossale. Il s'agissait d'explorer dans le détail 2 à 3 siècles d'histoire de la bière pour des régions entières du Nord-est de la France. Pour repousser les limites de son travail personnel, Ph. Voluer anime des réseaux d'informateurs qui collectent documents historiques et matériaux très divers. Cette méthode avait déjà été testée à petite échelle avec le Groupement Archéologique de Stenay. De cette façon, Ph. Voluer a pu réunir en plus de 30 ans une masse documentaire considérable. Il restait à la trier, la mettre en ordre et l'analyser. Une tâche non moins immense.
(3) Croiser et confronter toutes les données disponibles. Philippe Voluer ne se contente pas de retracer les faits marquants du monde brassicole des siècles passés. Il convoque la grande Histoire, ses évènements politiques, les données économiques, les descriptions des modes de vie et les documents issus de la vie sociale et industrielle, du 18ème siècle à nos jours. Inutile de dire qu'isoler les mouvements historiques lourds de la brasserie sur la longue durée, à l'échelle d'un ou plusieurs siècles, exige des qualités intellectuelles hors du commun. Ph. Voluer a su dégager la logique interne des évolutions historiques de la brasserie en faisant la part de ce qui revient aux technologies, à l'économie et aux changements sociaux. Cette analyse tridimensionnelle rétablit la bière dans toute sa complexité et sa dynamique historique. Ce nouvel éclairage, appuyé sur les pièces d'archive et les illustrations les plus pertinentes, est une contribution majeure de Philippe Voluer à l'histoire générale de la brasserie française des 3 derniers siècles.
Les premières études régionales de Ph. Voluer débutent en 1991 avec bières de meuse et de lorraine. Ce livre, classique pour l'époque, exploite les documents publicitaires créés par les brasseries industrielles (affiches, étiquettes, cartes postales, photographies). Il est organisé comme une suite de monographies sur les grandes brasseries de la région depuis le 19ème siècle. L'auteur s'efforce déjà de dégager les tendances historiques lourdes, au travers des évolutions divergentes des brasseries ou de leurs traits communs.
La bière en Ardenne et en Champagne (1997) confirme cette approche. La riche iconographie issue des brasseries sert à illustrer les thèmes que Ph. Voluer veut étudier : De la gloire à la disparition totale de la brasserie (1890-1990), Les brasseurs et les malteurs ou les maîtres de la bière, Les matières premières, La fabrication de la bière, Petites et Grandes brasseries.
Ses travaux les plus remarquables, du point de vue de la synthèse historique s'entend, sont à l'évidence :
Cette méthode rigoureuse, appliquée avec tant d'efficacité et de talent par Philippe Voluer, n'empêche pas cet historien de la bière d'aller visiter d'autres époques, le Moyen-âge ou l'antiquité par exemple, et d'autres cultures. Une de ses études sur la bière chez les Gaulois et les Romains est à paraître prochainement (Edition du Musée de la Brasserie, Saint-Nicolas-de-Port).
PHILIPPE VOLUER, FONDATEUR du MUSEE de la BIERE de STENAY
Le 26 avril 1986, le Musée de la bière de Stenay ouvre ses portes. Philippe, membre actif de la société d’archéologie locale depuis longtemps, est mis en disponibilité auprès de la ville de Stenay (officiellement en qualité d’archiviste municipal) et détaché auprès de l’association qui gère le Musée. Les recherches et les travaux, en grande partie impulsés par Philippe, avaient débutés 2 ans plus tôt. Le 24 juillet 1984, la ville de Stenay fait l'acquisition des bâtiments de l'ancienne malterie qui vont servir de cadre au musée. Un chantier de deux ans sera nécessaire pour les aménager, pour installer le matériel, les collections, et inventer les parcours pédagogiques du premier musée de la bière français.
Les recherches sur la bière et la collecte de matériels et documents menées par Ph. Voluer auprès des brasseries françaises et belges avaient commencé plusieurs années auparavant, en particulier celles qui cessaient leur activité dans la période 1974–1986. La collecte d'objets et matériels de brasserie n'a jamais cessé depuis. Ph. Voluer a en particulier constitué une bibliothèque et un fonds d’archives très importants, l'un des plus importants en France[3]. Il a également organisé dans le musée des animations très variées (expositions, conférences, colloque, bourse d’échange…) et a même obtenu l’édition d’un timbre poste. Le Musée, labellisé musée européen de la Bière, connaît sa meilleure période (environ 15 000 visiteurs par an), même si les moyens financiers trop limités donnaient à son responsable beaucoup de soucis. Ph. Voluer a dirigé et dynamisé le Musée de Stenay jusqu’au début des années 2000.
Il a beaucoup aidé à la création du Musée de Saint Nicolas de Port. Il est intervenu dans de nombreuses expositions ou animations mises en place depuis 20 ans à Saint Nicolas.
PHILIPPE VOLUER, le PASSIONNE D'HISTOIRE de la BIERE
Philippe a toujours vécu à Stenay. Son ancêtre brasseur, Isidore Kintzüger, travaillait avant 1914 à la brasserie Claisse de Chauvency-le-Château dans la Meuse, entre Stenay et Montmédy[4]. Sa mère tenait un café et son père était entrepositaire de bière à Stenay pour le compte de la Grande Brasserie Ardennaise (GBA de Sedan). Philippe passe toute sa jeunesse dans cette famille d’entrepositaires de bière stenaisiens.
Historien de formation, il devient enseignant avant de se consacrer à la création du Musée du Pays de Stenay (1981) puis à celle du Musée Européen de la Bière de Stenay (1984) et du Conservatoire de la Brasserie (1986).
Philippe est intervenu dans de nombreuses associations ayant pour thème la bière ou la brasserie. Il a donné de très nombreuses conférences et mis en place ou contribué à la mise en place d’expositions très diverses. Il a créé l’association « Route lorraine de la bière » qui regroupait différents sites brassicoles lorrains dont elle aidait la promotion. La Lorraine regroupe les trois seuls musés brassicoles français à Stenay, Ville-sur-Illon, Saint Nicolas de Port, ainsi que les vestiges de brasseries prestigieuses aujourd’hui disparues (Tantonville, Maxéville, Bar le Duc …). Il est également conseiller technique auprès du « Circuit Européen de la Bière » (France, Belgique et Luxembourg).
Philippe Voluer et Benoît Taveneaux (Président du Musée français de la Brasserie à Saint-Nicolas-de-Port) ont ensemble créé la FNABRA (Fédération Nationale des Associations BRAssicoles) dont le siège est à Saint-Nicolas-de-Port (54210). Philippe en était le président. Une dizaine d’associations réparties sur toute la France adhèrent à cette fédération[6].
La disparition de Philippe Voluer a généré une vive émotion. Nous savons combien ses travaux et sa personnalité vont nous manquer. Christian Berger s’intéresse à la naissance de la bière au niveau mondial. « Beer-studies » témoigne de son travail d’historien. Benoit Taveneaux, Jean Paul Hébert, Dany Griffon
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Cette bibliographie n'énumère que les études directement liées à la bière. Philippe Voluer a également signé seul, avec sa femme ou avec le Groupement Archéologique de Stenay, des publications concernant l'histoire de Stenay sa ville natale, ou celle de sa région[5], et une multitude d'articles dans la presse et les revues.
Et de nombreux articles en particulier dans « La feuille de houblon », ainsi que des chroniques radiophoniques régulières (station belge).
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- Vivre en Lorraine — La bière, CDRP Nancy 1986.
- Larousse de la bière 1988 (collaboration).
- La bière en Alsace 1989 (un chapitre).
- De céréales et d'eau. La brasserie française. Terrain n° 13 | 1989, 125-129.
- bières de meuse et de lorraine, Collection Meuse, Éditions de l’Est 1991.
- La Route de la Bière, Éditions Serpenoise 1991.
- Petite et Grande histoire de la bière de mars, Brasseurs de France 1993.
- Onse Be'er ass gudd! La Bière et les brasseries luxembourgeoises, coauteur au sein de la Confrérie Gambrinus. Les autres coauteurs sont Claude Lorang, Marc Obry, Raymond Weiller et Georges Zens. Éditions Schortgen 1993.
- La savoureuse histoire de la bière de mars, Brasseurs de France 1994.
- Sous le signe de l'Espérance., Brasserie Heineken, 1996. Monographie sur la brasserie de l'Espérance.
- Stenay — Le musée européen de la bière, CITEDIS 1997.
- La bière en Ardenne et en Champagne, Editions Terres Ardennaises 1997.
- Deux siècles d’affiches de la bière, CITEDIS 1998.
- La Bière en Lorraine à l'époque des Lumières. L'exemple de Nancy et de Stenay, Éditions Serpenoise 2005.
- Le grand livre de la bière en Alsace, Éditions Place Stanislas 2008.
- Le grand livre de la bière en Lorraine, Éditions Place Stanislas 2008.
- Une famille de brasseurs, les Lenfant, Autoédition 2012.
- La brasserie de l'Abbaye Notre-Dame de Saint Rémy à Rochefort, édité par la communauté religieuse. Monographie sur la brasserie de l'abbaye trappiste de Rochefort en Belgique.
- La brasserie La Licorne, édité par la brasserie.