Qu'est-ce qu'une bonne bière ?
Au 19ème siècle, le visage de la bière européenne change en à peine 100 ans. A l'aube de ce siècle, qui demande une bière dans un estaminet boit ceci :
- une bière servie à température ambiante
- de couleur plutôt foncée : noire, brune, ambrée
- la couleur se devine, car on boit dans une chope opaque. Seuls les riches et l'aristocratie boivent dans de la verrerie.
- peu ou pas de mousse, selon que le tonneau vient d'être percé ou pas
- une acidité plus ou moins prononcée qui la rend très rafraîchissante
- épaisse et un peu collante dans la bouche, suivant la façon dont le brasseur clarifie sa bière. Une bière nourrissante.
- force en alcool variable selon la maturité de la bière. La clarification n'ôte pas toutes les levures : la bière est vivante.
- La présence de levure confère amertume et légère astringence
- Le parfum de levure se hume : légère effluve de pain, de biscotte, ou de pourri si la bière est très vieille
- Saveurs dominante de grain ou de bon pain cuit, reflet de la diversité des céréales employées par le brasseur, selon la saison et les récoltes.
- D'autres saveurs se mêlent si le brasseur aromatise sa bière avec des plantes, des écorces, des baies ou des fruits. La plus grande diversité règne dans ce domaine, selon la saison, la région, le pays et le prix.
- Cette bière pèse sur l'estomac et sera un peu lourde à digérer.
- Enrichie en vitamines et nutriments, parce que peu filtrée, elle est nourrissante, et contente à elle seule celui qui a faim d'un repas du midi ou du soir
- Enivrante, elle l'envoie pour un moment au pays de l'oubli.
- Peu ou pas gazeuse, elle ne provoque pas les rôts de la modernité.
- Peu gazeuse, l'alcool ne se précipite pas dans la circulation sanguine.
- L'ivresse est lente sinon inexistante, sauf après un litre ou deux.
- Il existe des bières fortes, très filtrées, parfois mises en bouteilles et réservées à la noblesse ou la bourgeoisie.
Un siècle plus tard, on lui servira sur le comptoir d'un pub ou d'un café :
- une bonne bière fraîche (10°-12°C)
- claire, dorée, ambrée
- servie dans un verre, elle joue avec la lumière. On admire ses belles transparences qui deviendront codification : blonde, rousse et brune.
- Elle pétille et mousse dans un verre propre : la mousse a horreur du gras.
- Elle est pétillante et rafraîchissante :
- Bonbonne de CO2 derrière le bar.
- La bière ne doit pas être éventée : péremption et qualité.
- elle est limpide. On boit pour se désaltérer, on ne mange pas !
- Sa saveur est ronde et douce :
- Déferlement des bières de fermentation basse.
- Amertume délicate. On favorise les houblons aromatiques.
- Son degré d'alcool est contrôlé :
- Maîtrise de la densité et fermentation alcoolique contrôlée.
- Fiscalité adaptée au degré d'alcool.
- Type de bière décliné selon le degré alcoolique: simple (bière de table), double (luxe), triple (forte), barley wine (extra-forte).
- La bière est exempte de microorganismes :
- Filtration et pasteurisation.
- Chaîne logistique prévenant les contaminations.
- L'acidité est peu à peu bannie (ex. Berliner Weisse, lambic, kwas). Les bières lactiques sont marginalisées.
Les industriels n'ont pas seulement modifié leurs techniques, participé aux découvertes scientifiques de leurs temps, transformé les méthodes de production et créé de gigantesque temples de la bière. Ils ont également métamorphosé l'image de la bière, inventé des marques, vendus leurs bières aux quatre coins du monde, même dans les endroits les plus inattendus, en Chine, en Inde ou en Afrique. Ils ont relégué tout ce qui existait avant eux dans un coin obscur de la mémoire humaine. Avant la bière industrielle que nous aimons, nous sommes tous persuadés qu'il n'y avait à boire que des jus fermentés qui méritaient à peine le nom de bière.
Le 20ème siècle va parachever cette véritable prouesse technologique, en accélérant son mouvement. Mais ses principales caractéristiques ont été dessinées pendant la révolution industrielle[1].