Bière contre travail collectif chez les Xhosa d'Afrique du SudArticle 2 sur 5 Déroulement d’une réunion à bière des Xhosa

Les Xhosa et la bière en Afrique du Sud.

 

Combattants de la 8e guerre xhosa (également : guerre de Mlanjeni et Bonte Oorlog), défendant une position dans le Water Kloof pendant la deuxième année de la guerre, 1851.
1851 : résistance armée des Xhosa

Xhosa et Zoulous sont les deux ethnies majoritaires en Afrique australe à l’époque de la colonisation hollandaise puis britannique. Toutes deux ont fait de la bière la boisson traditionnelle centrale de leur vie sociale, quotidienne et religieuse.

À partir de 1779, les guerres Cafres ou guerres de frontières entre guerriers Xhosas et colons ou soldats britanniques ont fait reculer vers l’est la frontière du pays Xhosa, d'abord sur la rivière Keiskamma (district d'Albany, ancien Zuurveld) puis sur la rivière Kei. Pendant plus de deux siècles, le rôle et l’importance de la bière ont fortement varié, tout comme ceux des brassages-partages de bière associés aux travaux agricoles collectifs.

Xhosa Beer Drinkers by George Mnyalaza Milwa Pemba on artnet
Partage de la bière chez les Xhosa

Un petit historique de la bière associée aux travaux agricoles chez les Xhosa d’Afrique australe :

  •  Début 19ème siècle :  on boit du lait autant que de la bière. Les Xhosa sont un peuple d’éleveurs. Tout ce qui touche l’élevage est entre les mains des hommes, ce qui touche l’agriculture et le jardinage entre les mains des femmes. Le lait a autant d’importance que la bière.
  •  Epizooties au milieu du 19ème siècle et grand massacre millénariste du bétail en 1857-58. Crise de la société Xhosa, grande famine et mort de 40 à 50.000 Xhosa. Les Xhosa ne peuvent plus défendre leurs territoires ancestraux face aux colons.
  •  Pendant le 19ème siècle : la bière prend plus d’importance comme boisson quotidienne, boisson des réunions collectives (beer-parties) et des cérémonies à caractère religieux (offrandes aux ancêtres, initiation/circoncision des jeunes). Pourquoi ?
Femme labourant, Transkei, 1947. Femme au travail dans les champs pendant que les hommes travaillent dans les mines. Photo by Constance Stuart Larrabee
Femme xhosa labourant. 1947

Réduction lente de la taille des domaines familiaux par manque de terre. Progression lente vers la monogamie et diminution de la taille d’une famille. Donc main d’œuvre réduite. Les fermes autrefois autonomes doivent coopérer.

La charrue et les bœufs remplace la culture à la houe : productivité en hausse. Plus de grains, plus de bière

La culture du maïs remplace en partie celle du sorgho ou de l’éleusine, deux céréales pour brasser la bière. La patate douce et les courges venues d’Amérique sont cultivées entre les rangées de maïs. Hausse de la production de plantes vivrières et plus de grains disponibles pour brasser de la bière. Diverses sortes de bières, les unes légères, les autres plus fortes

Femme Xhosa bêchant un champ à la houe
Femme Xhosa bêchant un champ

L’interdépendance économique des domaines familiaux augmente avec la réduction des terres agricoles accaparées par les blancs. « Invention » des beer working-parties.

 

  •  Au 20ème siècle : travail salarié des Xhosa dans les mines et les plantations. Politique officielle des Bantoustans en 1913, territoires pour les populations noires dont les deux principales sont réservées aux Xhosa (Transkei) et aux Zoulous (Natal-KwaZulu) :
Brasseuse Xhosa
Brasseuse Xhosa actuelle

Les revenus d’une famille élargie dépendent de plus en plus de la migration des hommes loin de chez eux, de moins en moins du travail agricole sur place.

Dans les domaines familiaux, la culture des champs implique plus de coopération entre familles voisines ou liées par la parenté. Les beer working-parties deviennent plus importantes et plus nombreuses.

La politique officielle d'Apartheid se renforce et devient officielle (constitutionnelle) en 1948. Enfermement des populations noires dans les townships, expulsions des familles de fermiers noires vers les Banthoustans, interdiction de circuler dans la colonie sans laisser-passer, etc. La vie économique et sociale des populations noires devient un enfer, semé de misère, de crimes et de désespoir.

Les beer working-parties signifient aussi une forme de résistance culturelle et politique pour une partie des Xhosa dits « Red Xhosa ». Une autre partie dite « School Xhosa » renie ces coutumes et adopte une partie des valeurs des colons pour devenir leurs égaux[1].

Femme Xhosa brassant et servant de la bière umqombothi
La bière umqombothi de nos jours

   « Invention » sociale des beer-parties pour les travailleurs migrants qui quittent les bantoustans ou y reviennent après avoir travaillé dans les mines, les plantations ou les manufactures des colons blancs (McAllister 123-150).

 

  •  Vers 1980, époque de l’étude de McAllister :

   L’étau de l’Apartheid s’est desserré en 1994.

   Les inégalités économiques entre Noirs et Blancs restent criantes.

   Une partie des Xhosa adhèrent encore au brassage-partage de la bière umqombothi comme contrepartie de travaux agricoles. Mais le système agricole qui fonde cet habitus social, les fermes familiales, est fragilisé par la mondialisation.

   En 2019, un amendement du Liquor Product Act précise la définition d’une traditional African beer pour en contrôler la confection et la vente. Le commerce de bières traditionnelles les fait sortir du contexte d’un partage coutumier et gratuit.

 


[1] La question est infiniment plus complexe et contrastée. Le destin de Nelson Mandela est emblématique. Issu d’un clan royal xhosa/thembu, il assume son rôle traditionnel de leader politique pour les siens et les autres ethnies. Opposant du régime d’Apartheid, il adopte les modes de lutte des blancs (grèves, syndicalisme, manifestations, émeutes urbaines, activisme international).

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