Bière d’orge, hydromels et vins aromatisésArticle 3 sur 6 Kvas miellé, hydromels et bière d’orge

Chapitre 47 du Domostroï : brassage du kvas, du braga et du pivo.

 

Le chapitre 47 précise les techniques de brassage du kvas, du braga, et de la bière de malt d’orge avec ses deux infusions successives. L’usage de la glace est crucial pour garder ces boissons fermentées dès plus vivantes, stocker les ingrédients de brassage, contrôler la fermentation et les levains.

« 47. Une Leçon de Brassage pour Ce Même Jeune Homme, Comment Brasser de la Bière, Faire de l'Hydromel, et Distiller de la Vodka.

Pour brasser de la bière, de la braga ou de la soupe au choux aigre, il faut prendre du malt ou de l'hydromel et du houblon. Ces fournitures doivent être mesurées ou comptées et le compte doit être enregistré.

Lorsque la bière est brassée avec de l'orge, de l'avoine ou du seigle, ou lorsque le houblon est étuvé, vous devez superviser vous-même la fermentation et le siphonnage. Tout doit être fait avec soin et proprement, ainsi rien n'est volé ni gaspillé.

Ne buvez pas uniquement pour vous distraire.

Une fois la bière bouillie, et même après, si le malt est fort, on peut préparer un tonneau ou plus d'une deuxième bière. Lorsque toute la bière est faite, verser de l'eau sur les lies. Ajoutez trente ou quarante seaux à la lie d'orge, ou cinquante, voire soixante, à une bonne maische forte. Ce mélange fermente bien et est assez bon pour la famille.

La bière de première qualité fait une bonne soupe au chou aigre. Vous pouvez aussi faire du vinaigre à partir d'une bonne maische ; prenez soin de la conserver dans un endroit chaud.

Vous devez vous laver avant de vous approcher de la brasserie.

Conservez le houblon de la bière pour faire du vin miellé ; gardez-le, avec la maische, sur de la glace en été, pour qu'il ne se gâte pas. Conservez la levure en stock pour faire aussi du vin miellé.

Lorsque vous transférez ces boissons dans des fûts, surveillez attentivement vos serviteurs. Les vieux récipients sont les meilleurs pour le stockage, car ils sont facilement disponibles et ont déjà été testés.

Vous devez distiller l'hydromel vous-même. Pendant qu'il fermente, scellez la pièce. Vous seul pouvez superviser le processus. Personne d'autre ne doit goûter le breuvage pendant que vous le mélangez.

Distillez la vodka vous-même, aussi[1]. Ne la laissez jamais sans surveillance. Si vous êtes occupé ailleurs, demandez à quelqu'un de confiance de vous remplacer. Au moment de la mise en bouteille, estimez le résultat final à partir de la quantité contenue dans le chaudron et distillez trois qualités distinctes.

Ne laissez personne entrer dans la cave, la glacière, le fumoir ou les greniers sans vous. Distribuez vous-même toutes les fournitures, en mesurant, pesant et enregistrant ce que chacun reçoit. » (C. Johnston Pouncy pp. 156-157)

 

Le moine-abbé Sergius préparant le pain levé de la communion au 16ème siècle.
Le moine-abbé Sergius, 14ème siècle. "Chaque jour il disait debout la liturgie, cuisait lui-même les pains de la communion, pilant et écrasant le blé, criblant la farine, pétrisant la pâte et la faisant fermenter". (16ème)

Commentaires :

  • Le texte énumère ici les diverses sortes de bière : bière d’orge, d’avoine ou de seigle. Nous abordons ici la spécificité des boissons fermentées russes : le brassage par la voie acide. Contrairement à l’orge, l’avoine et le seigle ne sont pas maltés. Pour en faire des ingrédients de brassage, deux solutions existent. Soit mélanger les grains crus d’avoine ou de seigle avec du malt d’orge et laisser les amylases du malt hydrolyser l’amidon d’avoine ou de seigle. Soit provoquer une amylolyse des grains crus en milieu acide. La transformation de l’amidon en sucres fermentescibles s’effectue, quoique moins complète. C’est pourquoi le texte associe bière, braga et soupe acide de choux fermenté (choucroute). La bière dont il est question est une bière acidulée d’avoine-seigle, ce qu’on appelle kwas par ailleurs. Le braga (брага) est un ancien type de bière acidulée d’Europe orientale[2]. Ses caractéristiques techniques principales : utilisation de céréales dites pauvres (ni blé, ni orge plutôt réservés au pain), une méthode de brassage par la voie acide (cf. Beer-Studies Voie n° 6 : Hydrolyse Acide de l’amidon), une variabilité qui va de la soupe liquide à la bière filtrée. Ses déterminants sociaux : bière des communautés paysannes, des populations et des régions agricoles pauvres. Le braga a bien sûr disparu des villes d’Europe orientale assez tôt (18ème siècle) et du même coup des chroniques et du champ des études savantes. Au 20ème siècle, Adam Maurizio a dû fouiller les archives et les ethnographies les plus rares pour retrouver sa trace au cours de son enquête sur les anciens modes alimentaires européens. Nous ne pouvons affirmer que le Domostroï constitue la plus ancienne mention du braga.
  • quand les houblons sont étuvés: une surprenante indication technique. Etuver le houblon est sans doute un moyen de le conserver. Le texte ne précise par la partie de la plante traitée (cône, fleurs, feuilles).
  • Tout doit être fait avec soin et proprement, ainsi rien n'est volé ni gaspillé.” : le Domostroï insiste souvent sur les mesures d’hygiène qui doivent accompagner le brassage de la bière. L’environnement reste agricole. La boue, les salissures, l’hygiène corporelle des serviteurs, etc. devaient être un souci permanent pour le brassage domestique. Un souci économique guide aussi ces conseils. Ce qui est gâché, pourri ou putréfié n’est pas jeté mais donné aux domestiques et donc perdu pour la famille et ses invités.
  • Lorsque toute la bière est faite, verser de l'eau sur les lies. Ajoutez trente ou quarante seaux à la lie d'orge [drêches], ou cinquante, voire soixante, à une bonne maische forte. Ce mélange fermente bien et est assez bon pour la famille: les drêches sont rincées pour obtenir une bière de faible densité, consommation ordinaire de la famille. La quantité initiale de malt d’orge n’est pas donnée. On ne peut pas évaluer la densité de cette petite bière. Cependant, 50 à 60 sceaux d’eau chaude font penser que le versement initial d’orge maltée est de l’ordre de 50 à 100 kg.
  • Conservez la levure en stock pour faire aussi du vin miellé.: la levure est un levain collecté au fond des jarres de fermentation ou écumé au-dessus de la bière en pleine fermentation. Sa méthode de conservation (séchage ?) n’est pas précisée.

 


[1] L’expression russe горячое вино « goriachoe vino », « vin chaud » ou « vin chauffé » peut désigner un vin cuit (Johnston Pouncy p. 157 note 3). Ce paragraphe du chap. 47 peut ne parler ni de distillation ni de vodka, mais de vin concentré à la façon du porto, avec trois degrés différents de concentration.

[2] C. Johnston Pouncy (p. 156, n. 1) identifie ‘braga’ avec le moyen anglais bragget, braket, bragot et traduit брага par ale. Il vaut mieux conserver le terme originel rus braga. ‘Ale’ réfère un contexte historique étranger à la Moscovie du 16ème siècle.

[3] L'église orthodoxe célèbre la communion avec des pains fermentés. Elle ne suit pas l'innovation catholique romaine des pains azymes.

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