La cuve à fermenter dans une taverne de Mésopotamie.
La taverne se nomme en Mésopotamie la "maison-du-brasseur" : é-bappir en Mésopotamie méridionale (Sud Irak actuel), ou é-lunga en Mésopotamie septentrionale et en Assyrie (Syrie et nord de l'Irak). On y brasse la bière, on la sert, on la boit, on en fait un petit commerce local. La brasseuse, moins souvent un brasseur, troque contre du grain versé d'avance quelques litres de bière ou même un brassin entier. Ce dernier ne dépasse pas un centaine de litres, la contenance d'une cuve-gakkul. On trouve donc dans chaque taverne du matériel de brassage : la cuve de fermentation (sumérien dugNÍG.DÚR.BÙR, akkadien namzitu) haussée sur son support de bois avec une jarre collectrice de bière en dessous, des pots pour servir la bière, des meules, des broyeurs et des filtres.
Le potentiel sacré accumulé par la cuve de fermentation explique son intervention dans les rituels médicaux ou magiques. Le simple fait de la toucher, elle et son support, délivre des effets néfastes annoncés par de mauvais présages. "Il entre dans la taverne et touche le support et la cuve de fermentation " prescrit-on en cas de malheur. Ce n'est pas dans un temple que la cuve de fermentation accorde au malade sa plus grande efficacité, mais dans une simple taverne. C'est bien la cuve de brassage elle-même qui possède des qualités magiques et apotropaïques.
On ne compte pas moins de 8 rituels namburbi différents spécialisés dans la "décontamination magique". Chacun requiert de se rendre à la maison du brasseur, expression qui désigne un atelier de brassage ou une taverne. En Mésopotamie, la taverne ou le cabaret sont des endroits où la bière est brassée puis vendue sur place ou troquée contre des grains. Dans le cas présent, le patient doit s'y rendre pour s'y purifier en touchant le vase collecteur de bière, son support en bois et la cuve de fermentation. Il bavarde avec les buveurs et clients et doit ensuite retourner chez lui par un autre chemin.
La taverne opère comme lieu purificateur (sa porte, son seuil, le sol), ses ustensiles de brasserie (cuves, vases), ses clients et en dernier lieu les levains d'où provient le mystère des fermentations. Le texte des rituels de purification préconise d'entrer dans la "maison-du-brasseur" (sum. É lú.KÚRUN.NA) selon la formulation suivante :
« Il ne doit pas regarder derrière lui. La rue, qu'il longeait, il ne doit pas y retourner. Entrer dans la maison du brasseur. Alors il parle avec ceux-là, qui parlent [et alors] il touche le support (avec le vase de réception) et la cuve de fermentation et il dit : "Siris et Ningizzida peuvent me délivrer!" Le malheur est détaché. » [1]
Très spectaculaire ! Comme Ninkasi, Siris est une divinité féminine de la bière, de ce qui fermente et se transforme, de la magie positive.
Les origines du mal qu'on veut soigner en ces temps-là sont multiples : transgressions, magie, sorcellerie, colère divine, contamination par un être impur ou un objet lui ayant appartenu, etc. Innombrables sont les occasions de contamination. Elles tissent dans la vie quotidienne du Mésopotamien un réseau dense et dangereux. C'est pourquoi il ne doit pas emprunter le même chemin au retour du rituel de délivrance. Revenir sur ses propres pas, c'est courir le risque d'entrer en contact avec d'anciennes impuretés.
[1] Stefan Maul 1992, Der Kneipenbesuch als Heilverfahren, Actes de la 38ème Rencontre Assyriologique Internationale, Paris, p. 392 pour la traduction du rituel, pp 393-395 pour son analyse.