L'arrivée des Indo-Ârya entre 1500 et 1300 avant n. ère.
Les Indo-Ârya pénètrent vers 1500 par vagues successives dans le sous-continent indien par le Nord-Ouest, les actuels Tadjikistan et Pakistan septentrional. Originaires des grandes plaines d’Asie centrale, ces locuteurs indo-européens sont apparentés aux Iraniens qui évoluent avant cette époque à l’est de la mer Caspienne. Eleveurs et semi-nomades, ils ont pour eux la mobilité relative permise par leurs troupeaux et la vie sous la tente. Leur supériorité militaire est basée sur le cheval et le char. Ils sont organisés en tribus ou clans qui se font la guerre ou concluent des alliances pour leurs conquêtes militaires.
On n'attend pas de pasteurs-guerriers nomades qu'ils portent une culture de la bière. Ils ne cultivent a priori pas de céréales. Leur boisson rituelle, le Soma, s'apparente aux jus végétaux psychotropes, plus qu'aux boissons fermentées alcooliques. Leur société clanique n'a nul besoin des mécanismes complexes de redistribution de grains et de boissons, sinon les règles régissant le partage des butins de céréales pris dans les greniers des agriculteurs. Leurs stocks alimentaires sont leurs troupeaux en marche, leurs richesses se confondent avec le métal qu'ils emportent sous forme de bijoux, de parures, d'armes, de chars ou de harnachements de leurs chevaux.
Que se passe-t-il quand ces tribus guerrières rencontrent les cultivateurs sédentaires des vallées de l'Indus, a priori brasseurs et buveurs de bière? La naissance d'une des plus brillantes civilisations du globe, berceau de la tradition védique et de l'hindouisme. Si on en croit le Mahabharata qui raconte des évènements survenus entre les 10ème et 8ème siècles, cette civilisation est née dans le sang, la fureur des combats et l'énergie spirituelle.
Les Indo-Ârya progressent lentement suivant les cours du Sutlej, de l’Indus et ses affluents, dans la grande plaine fertile semi-inondée et défrichée par les peuples qui les ont précédés. Leur arrivée n’a rien d’une conquête foudroyante et destructrice. La confrontation avec les Dasa dure plus de 5 siècles. Les Dasa sont héritiers de la grande civilisation de l’Indus, porteurs de ses techniques agricoles et villageoises. Les Dasa sont sans doute, à cette époque, cousins des Dravidiens du sud de l’Inde, quoique la question reste débattue. Les textes védiques parlent des Dasa à la peau foncée, et des Indo-Ârya à la peau claire.
Les plus anciens textes védiques glorifient les pouvoirs de grandes divinités. Parmi elles, Soma incarne la Nature, les plantes, la fertilité. Pour servir son culte, deux boissons se concurrencent. La première est éponyme. Le soma occupe la place centrale dans les rituels védiques. Sa composition (plantes psychotropes, lait, fruits), sa confection (obtention de jus végétaux), sa consommation (cercle fermé d'officiants) reflètent le mode d'existence des pasteurs nomades[1]. Le soma est mis en rapport avec le Haoma décrit par l'Avesta, texte sacré des Indo-Iraniens qui peuplent une vaste région coïncidant avec l'origine des tribus Aryas.
La seconde boisson, nommée sura, est une bière. Sa composition (orge/blé), sa confection (fermentation alcoolique), sa consommation (groupe élargi des fidèles) empruntent au mode d'existence des sédentaires héritiers des cultivateurs de l'Indus. Dans la culture védique, la bière-sura est la boisson des guerriers/dirigeants (les kshatriyas selon la classification des Védas). D'après le texte du Rig-Veda, soma est une décoction divine, sura une boisson humaine. Cependant, le Yajur-veda déifie la bière-sura et l'élève au même statut que la boisson-soma. Est-ce l'effet d'une évolution sociale, de la rédaction plus tardive du Yajur-veda? Ou le reflet de deux traditions religieuses et sociales distinctes?
La coexistence de ces deux types de boisson (psychotrope vs alcoolique) n'est pas rare dans l'histoire humaine [2]. Le caractère exceptionnel de l'Indus réside dans son ancienneté et la riche littérature védique qui décrit ces deux boissons emblématiques, la décoction-soma et la bière-sura.
Soma = jus sacré des nomades à l'usage des prêtres, des guerriers et de leurs visions, à base de plantes et laitage. Certaines descriptions et utilisations du soma évoquent ses effets psychotropes.
Sura = bière des anciens peuplements de l'Indus, la boisson fermentée des cultivateurs de céréales, villageois sédentarisés de longue date dans le grand bassin de l'Indus et ses affluents.
Nous faisons l'hypothèse qu'un type de bière équivalent au sura était brassé dans le bassin de l'Indus avant l'arrivée des Indo-Iraniens que les textes védiques nomment Ârya.
Mais ces mêmes pasteurs-nomades indo-iraniens ont pu côtoyer ou intégrer des peuples brasseurs d'Asie centrale, pendant leur longue migration vers l'est, depuis les bords de la mer Caspienne jusqu'aux rives de l'Indus. La question restera ouverte tant que les fouilles dans le bassin de l'Indus ou le Nord de l'actuel Pakistan n'apporteront pas la preuve d'une tradition brassicole autochtone ancienne, ayant existé entre 2900 et 1500, c'est-à-dire avant l'arrivée des Indo-Iraniens.
[1] Wasson R. Gordon 1968, Soma : Divine mushroom of immortality. Ingalls Daniels 1971, Remarks on Mr. Wasson's Soma. JAOS 91-2. Mahdihassan S. 1984, Soma As Energizer-Cum-Euphoriant, Versus Sura, An Intoxicant, Ancient Science of Life Vol. III-3 January, 161-168.
[2] Les traditions scandinaves anciennes, d'Asie centrale ou amérindiennes font coexister l'usage des boissons fermentées et des préparations "énergisantes" (décoctions à boire, plantes à fumer, respirer ou ingérer).