Le Soma comme jus végétal (fermenté ?).
Dans leRig-Véda (RV), Soma est à la fois une divinité de la végétation (Vanaspati, Seigneur des Plantes), une plante spécifique et une boisson sacrée. Seigneur des plantes et des eaux, roi du monde, Soma désigne l'essence de la vie et tout ce qui l'anime. La plante-soma évoque une puissance agissante importante au cours du sacrifice. Enfin, soma est une boisson d'immortalité. Le 9èmecycle (mandala) du Rigveda est entièrement consacré aux pouvoirs de Soma dans le monde divin et terrestre. Pour les Védas, Soma est une puissance manifestée sous 3 formes : divinité, plante, boisson.
La préparation et l’utilisation de la boisson-soma sont ritualisées. Sa consommation est réservée aux prêtres et officiants. Sa composition a suscité de nombreuses études. Certaines y voient un laitage sacré, d’autres une décoction de plantes psychotropes, un vin ou une bière. Soma provient du jus de plantes pressées. La plante est ainsi décrite [1] :
« Vanaspati, le persistant, le doré, resplendissant avec un millier de branches » (RV IX.5.10). Si la plante-soma n'a pas de tronc, c'est un buisson ou une graminée. Soma a des « tiges jaunes qui donnent aussitôt le jus » (RV VIII.9.19). La plante décrite par le Rigveda n'a ni feuilles, ni fleurs, ni fruits, ni racines. Mais le texte ne cesse d'évoquer sa tige (amsú) et son bourgeon/sa tête (murdhan, siras). Les branches ou tiges de soma sont « très fortes et armées d'épines de sorte que tous les buissons ne trompent pas Indra avec leur apparence » (RV X.89.5). La résistance des graines ou des tiges écrasées entre des pierres est indiquée par le procédé « écraser le jus sur la pierre (a produit) un chant céleste qui monte jusqu'au ciel » (RV X.76.6).
Certains auteurs voient dans le soma une sorte de bière, parce que le Rig-Veda parle de « mélange du jus épais extrait de la plante-soma avec de la farine d'orge » (RV IX.68.4). L'indice est mince, car il manque la preuve d'une fermentation alcoolique. La farine peut servir d'épaississant ou d'adoucissant pour ingérer un jus végétal plus ou moins vomitif.
Un « soma très fort (enivrant ?) de 15 jours » (RV X.27.2) indique un mûrissement ou une maturation, mais sans certitude d’une fermentation. Le Rig-Veda n'attribue pas à la boisson-soma l'effet d'une ivresse alcoolique. Ce n'est pas une censure ou une incapacité littéraire, parce que le Yajur-Veda décrit dans le détail cette ivresse à propos de la bière-surā (infra). C'est la seule indication d'une possible fermentation dont la durée renforce la densité en alcool. Deux termes différents qualifient le pouvoir des boissons : soma produit le máda (force, visions, éveil mental), surā produit le durmadh (ébriété, ivresse, folie). « Indra boit le jus de Soma qui rend fort (máda) pour de grandes actions » (RV I.56.1). Le second état de conscience (ivresse) n'est pas le négatif du premier (exaltation). Un "soma très fort" peut signifier un soma rendu plus énergisant ou psychotrope après 15 jours, au lieu d'un soma très alcoolique.
Un autre hymne à Indra précise que « les ivrognes ne louangent pas avec leur (bière)-surā » (RV VIII.2.12), ce qui montre que la bière-surā est d'abord enivrante et en même temps impropre au culte du dieu Indra [2]. On retiendra que le Rig-veda associe ces deux formes d'états mentaux et comportements modifiés (eveil mental versus folie ivre) à deux boissons différentes (soma versus surā).
Le « soma traité est rouge » (RV IX.82:1). Ici soma ne désigne pas la boisson, mais la plante-soma qui possède des inflorescences de couleur jaune-rouge (orangée ?). Pour pencher vers le brassage d'une bière, il faudrait attribuer cette couleur aux moisissures rouges dont se couvrent les ferments amylolytiques, ce qui ferait de soma une bière de millet ou de riz. De telles bières-rouges existent en Asie à cette époque, mais en Chine, pas dans la partie occidentale de l'Inde à notre connaissance.
La boisson-soma répond probablement à plusieurs usages rituels et par conséquent plusieurs compositions et procédés. L'un d'eux peut faire de soma une bière, mais les preuves sont minces à ce jour.
L’Hymne à Indra, dieu guerrier, fait le lien entre la richesse agricole (les champs d'orge qu'il faut moissonner), la conquête militaire et les boissons fermentées. Cela ne démontre pas que la boisson-soma soit à base de grains, fermentée et alcoolique, mais que la bière-surā est admise au rang des boissons rituelles ou d'offrandes dédiées au dieu Indra. Les fonctions guerrières d'Indra s'expriment notamment par la fureur et le débordement, ou semble-t-il par l'ivresse alcoolique de ses dévots telle que décrite par des textes tardifs de la tradition brahmanique.
[1] S. Mahdissan 1984, SOMA as Energizer-cum-euphoriant, versus surā, an Intoxicant, Ancient Science of Life Vol No. III No. 3 January 1984 : 161 - 168. Nous suivons les conclusions de Mahdissan concernant le soma-boisson comme euphorisant et la bière-surā comme boisson alcoolique. Mais nous ne suivons pas d'autres essais de Mahdissan, qui voit dans la bière-surā un alcool distillé et l'Inde comme l'un des pays d'origine de la distillation alcoolique. Les indices textuels donnés par Mahdissan ne sont pas concluants. Nous ne prenons pas part non plus au débat sur l'identification des espèces botaniques de(s) plante(s) soma, une recherche trop éloignée des sujets traités par l'histoire de la bière.
[2] Contrairement au soma. La ligne continue "L'homme nu ne louange pas quand il pleut ". Le soma comme la richesse matérielle sont nécessaires aux humains pour qu'ils prient les dieux. Sous cet angle, l'ivresse alcoolique de la bière-surā n'est pas la forme la plus élevée de bénédiction que les hommes attendent de leurs dieux.