La bière du village néolithique de Mijiaya (Chine) il y a 5.500 ans.
En 2016, une équipe d’archéologues révèle la présence de bière en Chine il y a 5.500 ans. Ils analysent sa composition et décrivent les méthodes de brassage . Après la découverte en 2003 des traces de bière brassée à Jiahu 2000 ans plus tôt, la datation de la bière de Mijiaya n’est pas un scoop. Elle confirme l’omniprésence de la bière dans le nord de la Chine à cette époque reculée. En revanche, cette découverte et celles qui se multiplient dans les années suivantes dessinent une carte de plus en plus dense des sites archéologiques-témoins de l’ancienne brasserie chinoise[1].
Le site de Mijiaya sur les bords de la rivière Wei appartient à la culture de Yangshao finale (3500-3000) et à la culture éponyme de Mijiayao (3300-2000) qui occupe le moyen bassin du fleuve Huang-He. C’est une culture mixte de chasseurs-cueilleurs et d’agriculteurs-éleveurs. On chasse le daim, l'antilope et le castor, on élève le porc, le chien, la chèvre et du bétail. On cultive le millet et le chanvre retrouvé dans des fosses de stockage. L’alimentation repose sur le millet commun (Panicum miliaceum) et le petit mil, panis ou millet des oiseaux (Setaria italica). Les outils sont en pierre et en terre cuite. Les villages occupent quelques dizaines d’hectares, habités par des groupes de quelques centaines de personnes. Le site de Mijiaya s’étend sur 45 ha. L’organisation sociale semble y être égalitaire d’après les dépôts funéraires mais fait apparaître deux ou trois niveaux de hiérarchie d’après la taille des habitations. 166 puits ou fosses de stockage alimentaire ont été mis à jour. La poterie utilitaire est très différenciée (pots, jarres, coupes, bols, vases, bouteilles, etc.).
A la même époque, des centres régionaux s’établissent le long de la rivière Wei (Dadiwan (100 ha) et Gaositou au Gansu, Anban (70 ha) au Shaanxi). Au centre de ces sites, de grandes structures communautaires (290 m2 à Dadiwan) abritent des cérémonies ou des festivités. Elles possèdent de vastes salles équipées de foyers. On y a retrouvé de grandes jarres et des piles de bols ou pots en terre cuite de taille standardisée. Une organisation sociale plus complexe à l’échelle régionale se développe vers le 3ème millénaire.
Tout est en place pour que la bière joue un rôle central dans ces communautés villageoises néolithiques socialement évoluées.
Les recherches menées à Mijiaya ont permis de valider une méthode scientifique de détection des traces de bière fondée sur l’analyse des grains d’amidon et des phytolithes. Jusqu’alors, on recherchait seulement l’oxalate de calcium, marqueur de la fermentation des céréales, comme à Godin tepe ou Jiahu.
La méthode est la suivante :
- Des brassins expérimentaux avec un grand panel de céréales permettent d’observer la transformation physique et chimique de leurs granules d’amidon pendant les phases typiques du brassage (maltage, brassage de la maische, fermentation). Les déformations très précises des granules sont enregistrées avec un microscope électronique.
- Des échantillons de granules d’amidon sont prélevés et isolés sur le matériel archéologique de Mijiaya.
- Leurs formes sont comparées aux données de référence obtenues en (1) sous microscope et filtres polarisant.
- Les phytolithes permettent d’identifier les espèces végétales analysées.
- La chromatographie détecte la présence d’oxalate de calcium qui confirme l’existence d’une fermentation alcoolique de grains.
- Contrôles pour éliminer les contaminations possibles des prélèvements sur le terrain des fouilles.
Ces recherches de 2016 apportent une moisson de résultats :
- La bière est brassée avec un mélange de millet (P. miliaceum), d’orge, de Grains ou Larmes de Job (Coix lacryma-jobi), et 3 sortes de tubercules : la « gourde-serpent » (Trichosanthes kirilowii), les bulbes de lys (Lilium sp.) et l’igname (Dioscorea sp.). Ceci confirme l’extraordinaire diversité des bières primitives. On brasse avec toutes les plantes qui fournissent de l’amidon, bien au-delà du cercle étroit des céréales.
- Ce ne sont ni les tubercules de lys, ni les « Larmes de Job » qui sont ici surprenantes pour faire de la bière, mais l’orge, contre toute attente. L’orge, venue en Chine depuis l’Asie centrale vers le 4ème millénaire, devient une céréale alimentaire dominante beaucoup plus tard sous la dynastie des Han (-206+220). Sa présence en Chine septentrionale 3000 ans plus tôt, à côté du millet, semble indiquer une utilisation propre au brassage de la bière sous la forme de malt d'orge. On sait qu’à la même époque deux méthodes principales de brassage se côtoient en Chine : le maltage et le ferment à bière[2]. La culture de l’orge dans l’ouest de la Chine à cette période ancienne pourrait en partie s’expliquer par les nécessités de la brasserie.
- Le matériel de brassage sur lequel sont prélevés les échantillons d’amidon est spécialisé : pots de fermentation, fours pour sécher les grains germés, entonnoirs, jarres pour conserver la bière. Les 2 fosses dans lesquelles ce matériel a été retrouvé semblent avoir été des lieux dédiés au brassage de la bière, des sortes d’ateliers-brasserie primitifs. Ceci dénote une technique de brasserie déjà bien développée en Chine à cette époque reculée. Les traces de bière découvertes dans les dépôts funéraires de Jiahu, 300 km vers l'est, indiquaient la présence de la bière 2000 ans plus tôt. Le contexte archéologique de Jiahu ne permet pas d'affirmer que le brassage de la bière était vers -7000 ans une activité économique ou domestique régulière. Sur le site de Mijiaya, la fabrication de la bière s'inscrit dans une utilisation généralisée des boissons fermentées : production alimentaire, échanges économiques, activités religieuses.
Les conclusions de cette découverte sont du plus grand intérêt pour l’histoire de la brasserie. Les chercheurs les résument en ces termes :
« The practice of beer brewing is likely to have been associated with the increased social complexity in the Central Plain during the fourth millennium BC The late Yangshao period in the Wei River region was characterized by hierarchically organized settlement patterns, interpolity competitions, construction of large public architectures at regional centers, and ritual feasting likely organized by elite individuals and involving alcohol consumption. Like other alcoholic beverages, beer is one of the most widely used and versatile drugs in the world, and it has been used for negotiating different kinds of social relationships. The coincidence of beer production with other lines of material evidence suggests that competitive feasting was actively developing. The production and consumption of Yangshao beer may have contributed to the emergence of hierarchical societies in the Central Plain, the region known as “the cradle of Chinese civilization. »[3]
[1] Wang Jiajing, Liu Li & al. Revealing a 5,000-y-old beer recipe in China. PNAS-2016-Wang-6444-8.
[2] Plusieurs autres méthodes de brassage existent : l’insalivation et la saccharification acide des grains d’amidon. Mais ces méthodes sont plus délicates à détecter et séparer des autres méthodes sur des artefacts archéologiques. Idem pour les racines amylolytiques capables d’hydrolyser l’amidon. Compte tenu de l’extraordinaire diversité de la cuisine chinoise ancienne, il serait surprenant que les propriétés de telles racines n’aient pas été découvertes et utilisées pour faire de la bière par des groupes humains en Chine pendant et après le néolithique.
[3] Citation de Wang Jiajing, Liu Li & al. 2016, 6447. " La pratique du brassage de la bière est probablement associée à la complexité sociale accrue dans la plaine centrale au cours du quatrième millénaire avant J.-C. La fin de la période Yangshao dans la région de la rivière Wei était caractérisée par des modes de peuplement organisés hiérarchiquement, des compétitions inter-politiques, la construction de grandes architectures publiques dans les centres régionaux et des festins rituels probablement organisés par des individus d'élite et impliquant la consommation d'alcool. Comme d'autres boissons alcoolisées, la bière est l'un des psychotropes les plus répandus et les plus polyvalents au monde, et elle a été utilisée pour négocier différents types de relations sociales. La coïncidence de la production de bière avec d'autres éléments de preuve matériels suggère que les festins rivaux se développaient activement. La production et la consommation de la bière à Yangshao ont peut-être contribué à l'émergence de sociétés hiérarchisées dans la plaine centrale, la région connue comme "le berceau de la civilisation chinoise ".