Europe centrale et bière néolithique (4000 av. n. ère).
Une équipe européenne a découvert en 2020 un nouveau marqueur pour détecter le maltage dans des résidus archéologiques de grains. La germination des grains de céréales laisse intacte la mince couche cellulaire d’aleurone qui entoure l’albumen et le sépare du germe, tout en amincissant la paroi des cellules. Cet amincissement peut-être mesuré. Cette microstructure après germination est suffisamment caractéristique des Graminées (parois cellulaires intactes mais amincies) pour que son examen au microscope électronique permette d’affirmer que les grains ont subi ou non une germination contrôlée, autrement dit un maltage. Ce dernier est une des méthodes pour brasser la bière. Ce nouveau marqueur adresse uniquement des traces de bière ayant été brassée avec la méthode du maltage. Les autres méthodes (hydrolyse par des champignons, hydrolyse acide, insalivation) ne provoquent pas les mêmes modifications histologiques dans les graines [1].
Ce nouveau marqueur ouvrira la voie à de nouvelles analyses pour rechercher la présence de bières archaïques sur des sites archéologiques qui recèlent des résidus amorphes de grains broyés et décomposés par une cuisson ou une fermentation. Applicable à l’ensemble des graminées, ce test balaye une grande part des sources d’amidon employées pour brasser la bière depuis le néolithique. Seuls les tubercules, racines, moelles et fruits amylacés échappent à cette détection.
Afin de confirmer la validité de ce marqueur, des résidus d’amidonnier datés de l’Egypte prédynastique (4ème millénaire) provenant de Hierakonpolis et Tell-el-Farkha ont été testés. Ces deux sites archéologiques possèdent des installations de brassage respectivement identifiées et décrites depuis les années 1990 (Geller J. 1992) et 2005 (Kubiak-Martens, Langer 2005). Les prélèvements testés à Hierakonpolis datent de 3764–3537 av. n. ère, à Tell-el-Farka de 3600–3500 av. n. ère. Chaque test a confirmé la présence de fragments de cellules d’aleurone avec des parois minces et, du même coup, a prouvé que le maltage était une des méthodes de brassage préférée des anciens Egyptiens de l'époque pré-dynastique[2].
Ce marqueur a ensuite été recherché et isolé dans des résidus carbonisés découverts sur 3 sites néolithiques du 4ème millénaire d’Europe centrale : Sipplingen-Osthafen et Hornstaad-Hörnle sur le lac de Constance (Sud-ouest de l’Allemagne) et Parkhaus-Opera sur le lac de Zürich (Suisse). La conclusion s’impose. Ces trois sites révèlent l’existence de bière produite par maltage d’orge cultivée. Les échantillons sont datés de 3910 BCE (Hornstaad), 3600 BCE (Sipplingen), 3160 BCE (Parkhaus).
Cette formidable découverte confirme que le brassage de la bière accompagne de près les débuts de l’agriculture en Europe centrale. Sous réserve d’autres découvertes, la bière est sans doute devenue la boisson fermentée privilégiée des groupes humains peuplant le cœur de l’Europe, de ses premiers agriculteurs. En Europe centrale, les premiers indices de culture néolithique sont contemporains des 3 sites testés, 5000-4000 BCE. Il faut rester prudent et ne pas conclure qu’une « invention » de la bière en Europe est partout synchrone avec les prémices de l’agriculture sur ce continent.
Ce nouveau marqueur offre aux archéologues un nouvel outil pour analyser les résidus de grains vieux de plusieurs millénaires. Plus important encore, il permet d’analyser des résidus ayant subi une mouture et une cuisson qui détruisent la morphologie des grains et même les granules d’amidon, sauf des fragments de cellules d’aleurone. Il complète une panoplie d’outils pour retracer la protohistoire de la bière, ses diverses compositions et ses méthodes de brassage. Il pourra s'avérer essentiel pour comprendre comment et quand la brasserie est née dans les territoires européens, partant des rives de la Mer Noire et de la Grèce pour parvenir à l'extrême nord de l'Europe en quelques millénaires, une lente mais irrésistible progression. La première longe les rives méditerranéennes avec la Culture dite cardiale, la seconde remonte le Danube avec la Culture dite rubanée.
[1] Heiss AG, Azorin MB, Antolin F, Kubiak-Martens L, Marinova E, Arendt EK, & al. Mashes to Mashes, Crust to Crust. Presenting a novel microstructural marker for malting in the archaeological record. PLOS One 2020. https://doi.org/10.1371/journal.pone.0231696
[2] Cialowicz Krzysztof. New Discoveries at Tell el-Farkha and the Beginnings of the Egyptian State, Etudes et Travaux XXX (2017), p. 231–250. https://doi.org/10.12775/EtudTrav.30.011
Kubiak-Martens L., Langer JJ. Predynastic brewing based on botanical and physicochemical evidence from Tell el-Farkha, Eastern Delta. In: Midant-Reynes B, Tristant Y, Rowland J, Hendrickx S, editors. Egypt at its origins 2: Proceedings of the international conference "Origin of the State, Predynastic and Early Dynastic Egypt," Toulouse (France), 5th–8th September 2005. Orientalia Lovaniensia Analecta. Leuven: Peeters; 2008. p. 425–39.