Hierakonpolis en Haute-Egypte (3500 av. n. ère).
Les données égyptiennes les plus anciennes remontent à l'époque prédynastique (4500-3100). Le cimetière d'Abadiya, près de Louxor, a livré des jarres au fond desquelles avaient sédimentés et séchés des résidus de bière. Cette observation visuelle est rapportée par Petrie, célèbre égyptologue du début du 20ème siècle qui ne pratiquait hélas pas l'analyse chimique des résidus. Le cimetière de Naqada d'époque dynastique ancienne (3100-2686) a livré des résidus similaires. Une preuve matérielle plus positive a été publiée en 1985, mais elle concerne un site dans le désert du Negev. Il s'agirait d'un caravansérail bâti durant la 1ère dynastie (3100-2890) pour garder la frontière-nord de l'Egypte, près des cascades d'En-Besor. Un bassin et quelques installations de stockage (eau, pain et bière) ont fait penser que ce poste-frontière servait également de brasserie pour les voyageurs.
En 1989, Jeremy Geller fouille le site prédynastique de Hierakonpolis (3500-3400) proche de Louxor[1]. Il exhume un site de production de bière à grande échelle installé sur un monticule en partie érodé, avec 6 grandes cuves préservées et semi-enterrées. Avec des parois épaisses résistantes au feu, elles totalisent une capacité de 390 litres. Le dispositif était couvert (de nattes?) pour conserver la chaleur et protéger le liquide.
L'analyse chimique et botanique des résidus collés aux parois confirme la présence de sucres caramélisés, de débris de grains mais sans trace de fermentation alcoolique (oxalate de calcium). Ces récipients servaient à la production du moût par infusion. La fermentation se déroulait dans d’autres récipients, probablement des jarres dévolues au service de la bière.
Hierakonpolis est la plus ancienne brasserie connue à ce jour. Elle était en activité il y a 5.500 ans!
Depuis sa découverte, d’autres sites prédynastiques comme Abydos ont été réexaminés à la lumière des conclusions de J. Geller. Ils présentent des dispositifs similaires : alignement de grands récipients épais de terre-cuite associé à un dispositif de chauffage.
Les installations de Hierakonpolis frappent par leur importance pour cette époque. Ce qui en subsiste s'étend sur env. 20 m2, mais J. Geller estime que le monticule originel avait une surface double. Avec les 12 cuves du site intact et un cycle brassage-fermentation estimé à 2 jours, cette brasserie pouvait fournir 300 litres de bière/jour. Cette production excède les besoins domestiques. Elle évoque une organisation collective corroborée par le voisinage de fours destinés à la boulangerie. Hierakonpolis signale les débuts en Egypte d'une centralisation technique et probablement économique de la transformation des céréales. Elle suppose un contrôle relatif des réserves collectives de grains (greniers, silos).
En Egypte comme en Mésopotamie, une céréaliculture irriguée conjuguée à un régime agraire fortement contrôlé mènent à une production précoce, techniquement avancée et relativement centralisée de bière et de pain.
On pourra là encore supposer, sans preuve, que des étapes ont précédé et modifié les rapports sociaux par une lente évolution qui a vu la bière et le pain devenir d'indispensables supports de socialisation en Egypte. Ces étapes préparatoires à Hierakonpolis auraient favorisé l'émergence de la brasserie comme technique alimentaire, activité économique et promu la bière comme liant social.
Les 4 sites prédynastiques de Hierakonpolis, Abydos, Naqada et Abadiya se situent dans la haute vallée du Nil, près de la 1ère cataracte. La seconde cataracte, 200 km plus au Sud, marque la frontière entre les zones égyptienne et soudanaise, les portes de l'Afrique noire, la Nubie et l’Ethiopie de l'antiquité classique. Une ancienne tradition brassicole est probable dans cette région d'Afrique orientale, quoique non attestée à ce jour pour cette période.
[1] Geller Jeremy 1992, Predynastic Beer Production at Hierakonpolis, Upper Egypt: Archaeological Evidence and Anthropological Implications. PhD.