La christianisation des peuples buveurs de bière en Europe.
La conversion des peuples d'Europe du Nord s'achève au 11ème siècle. Après l'Irlande (St Patrick 385-461), les Iles britanniques (roi Edwin de Northumbrie converti en 625), le Danemark (roi Harald converti en 970), la Suède (dynastie du Götaland) clôt vers 1060 la liste des nouveaux états chrétiens. La lointaine Islande adopte le christianisme vers l'an 1000, conversion forcée par le blocus économique que lui fait subir le roi norvégien Olaf 1er. Seules les populations du grand Nord (Samis, Samoyèdes, ...) échappent aux campagnes de conversion à cette époque.
A partir du 12ème siècle, le saint empire romain germanique regroupe des peuples et entités politiques disparates mais tous réputés chrétiens. Souvent introduite par la conversion des familles dirigeantes qui trouvent leur pouvoir politique légitimé par Rome, la christianisation reste superficielle parmi le peuple. Pour des siècles encore, la bière restera aux yeux des doctrinaires chrétiens la boisson des peuples prompts à retrouver leurs habitudes païennes.
Tavernière allemande emportée par un diable en enfer. Sculpture médiévale.
D'après Theodore Grässe 1872, Bier Studien, Dresden, p. 147. Notez le grand pot de terre cuite tenu par la femme qui est déjà à l'époque médiévale ancienne un des motifs préféré pour signaler la bière ou une scène liée au brassage de la bière.
Quoique la viticulture se propage en Europe septentrionale, promue par les marchands et les monastères dans la nécessité rituelle de se procurer du vin de messe, la bière, le cidre et l'hydromel restent les boissons fermentées adaptées au climat et inscrites dans les us et coutumes, y compris parmi le clergé et les laïcs qui travaillent pour son entretien matériel.
En Europe septentrionale et centrale, les traditions brassicoles ne seront jamais interrompues. La brasserie reste une activité économique importante, tant pour les villes franches, les comptoirs marchands que les finances des royaumes. Au 13ème siècle, le roi Wenceslas II doit convaincre le pape de révoquer un ordre de Rome bannissant le brassage de la bière en Bohême. Il invoque 2 raisons principales: la bière est une boisson essentielle pour les paysans de son royaume, le brassage de la bière génère des taxes qui permettent de nourrir le clergé et d'entretenir la puissance politico-militaire de son royaume très chrétien.
La Ligue Hanséatique (12ème au 17ème siècle) est fondée dans un monde où colonisation et évangélisation vont de pair. La Ligue est liée au réseau étendu des Chevaliers Teutoniques et aux villes marchandes du Nord qui s'émancipent peu à peu d'un contrôle royal hérité du haut moyen-âge. Le prosélytisme catholique sert de façade aux pouvoirs politiques de l'époque. Le commerce de la bière y prend une place importante[1]. Les brasseries de Hambourg, Hanovre, Lübeck, Gdansk, Bremen, Wismar, Göttingen, Anvers, Gand, Bruges, Haarlem, Louvain, Gouda brassent des millions de litres tous les ans. Une partie de cette production est vendue dans les villes, une autre est exportée. La bière est une ressource fiscale importante pour ces villes qui sont également le siège d'évêchés ou d'archevêchés[2].
[1] Christine von Blanckenburg 2001, Die Hanse und ihr Bier. Brauwesen und Bierhandel im hansischen Verkehrsgebeit.
[2] Richard W. Unger, Beer in the Midle Ages and the Renaissance, 2004,118-119.