La bière et les premiers temps du christianisme.

 

La bière n’est jamais évoquée dans le Nouveau Testament, et très rarement dans les textes postérieurs des Pères de l’Eglise. Elle est pourtant produite et bue parmi les peuples du bassin méditerranéen intégrés à l’empire romain, par les catégories les plus modestes ou les populations dites « barbares » déplacées de force par l’empire ou réfugiées derrière ses limes. Dans sa relation économique et politique avec les peuples conquis, Rome privilégie la viticulture et le commerce du vin, sauf aux marges septentrionales de l’empire (exemple des Britons de Vindolanda, des Germains des rives du Rhin décrits par Tacite, ou des Gaulois), et dans les pays d’ancienne tradition brassicole comme l’Egypte et comme la péninsule hispanique.

L’Eglise chrétienne primitive adopte les jugements culturels et l'éthique de l’élite romaine. Peu importe qu’un esclave ou un citoyen de l’empire boive de la bière ou du vin. Comme le judaïsme, la morale chrétienne réprouve l’alcool mais ne l’interdit pas. Certains épîtres vont cependant jusqu’à la condamnation. St Paul prononce à l’encontre des ivrognes la pire malédiction pour un chrétien : ne pas renaître au jour du jugement dernier :

« ... ni voleurs, ni cupides, ni ivrognes, ni outrageux, ni rançonneurs n'hériteront du royaume de Dieu. » (Corinthiens 6:10).

 

La culture et la société romaine privilégient le vin comme boisson noble et rabaissent la bière du côté des peuples barbares ou des populations allochtones de leur empire.

En revanche, sur le plan doctrinal, la religion chrétienne provoque une rupture profonde: elle bannit la bière du domaine sacré. C’est la rupture la plus importante. La bière ne peut plus revendiquer le moindre rôle dans les rituels agraires, les offrandes à Dieu ou le cérémonial chrétien, comme le faisaient les peuples orientaux, égyptiens, hittites, thraces, phrygiens, celtes, germains, celtibères, ... Le vin occupe toute la symbolique sacrificielle et accapare toutes les vertus positives qu'une boisson fermentée charrie sur la plan de l’ivresse symbolique, celle qu'on recherche ou offre à son dieu. C’est l’ivresse de dieu chantée par les mystiques. Elle provient de la vigne et de la grappe, même si pour les ordres contemplatifs et les religieux ce vin est plus mystique que matériel. Les grains, fruits légitimes de la terre, offrent le pain, mais à condition de n'y retrouver aucune trace de fermentation. Désormais, la bière est chassée de l'espace sacré. Son rôle symbolique dans les rites agraires des communautés villageoises de l'Europe sera progressivement réinterprété par l'Eglise comme survivances païennes, condamnées et farouchement combattues par les prêtres et les évêques.

 

Expansion du christianisme et système de la pentarchie aux 4è - 5è siècles
Expansion du christianisme et organisation impériale romaine.

Mais plus grave encore que son bannissement de l’espace sacré, la bière concentre sur elle tous les aspects négatifs que la religion attribue aux boissons fermentées. Le christianisme, devenu religion officielle de l’empire romain sous Constantin 1er (r. 306~337), renforce le bannissement de la bière du côté de l'impur et du paganisme. La polarité bière contre vin se consolide à cette époque dans l’Europe méditerranéenne. Cette première phase de la christianisation s'achève vers le 5ème siècle avec une majorité de communautés chrétiennes concentrées dans les régions orientales de l'empire romain.

La christianisation des anciennes provinces romaines occidentales se déroule entre le 6ème et le 9ème siècle. Au fil des conciles, la doctrine de l'Eglise chrétienne se consolide et s'unifie en déclarant héritiques toutes les interprétations et les pratiques non approuvées par les conciles. Le rôle sacramentel unique du vin est chaque fois réaffirmé, sans exception possible, pour tous les chrétiens, quelque soient leurs coutumes, leurs climats,  leur histoire ou leurs habitudes alimentaires. L'Eglise chrétienne se veut Une et unie sous la conduite des 5 patriarchies (Rome, Alexandrie, Antioche, Constantinople, Jérusalem).

 

La christianisation de l'Europe du Nord entreprise à partir du 9ème siècle par les Carolingiens va exacerber l’opposition des deux principales boissons fermentées : le vin des Chrétiens combat la bière des païens. Rome n'affiche pas la même tolérance religieuse que les 4 autres patriarches. Mais surtout la hiérarchie écclésiastique romaine conserve et même amplifie les moeurs alimentaires de la noblesse latine : le vin est la seule boisson honorable, la boisson aristocratique romaine. Cette tendance lourde au sein du clergé romain pèse plus dans la marginalisation de la bière que les arguments théologiques.

 

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18/06/2012  Christian Berger