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Cités-états du bassin de l’Indus (2600 à 1500 av. n. ère).
En sanskrit, sindhu signifie « fleuve » et réfère en particulier à l’Indus, l’un des grands fleuves nourriciers du sous-continent indien, berceau d’une civilisation qui compte parmi les plus anciennes du globe.
La vallée de l’Indus est le foyer de la brillante civilisation de l’âge du bronze, dite Civilisation de l'Indus (3300–1500). D’abord centrée sur le bassin de l’Indus, elle s’étend vers le nord pendant sa maturité (2600 et 1900 av. n. ère), vers les vallées du Ghaggar-Hakra (ancienne rivière Sarasvati des textes védiques), des Doabs au Penjab et du Gange-Yamuna au nord-est. A son apogée, elle couvre le plus vaste territoire de toutes les civilisations anciennes (env. 1.260.000 km²). Sa population est estimée à 5 millions d'habitants.
Comme les civilisations mésopotamienne, égyptienne ou chinoise, elle est nourrie par de riches bassins alluvionnaires, vastes et régénérés par des crues limoneuses annuelles. Le puissant fleuve Indus arrache ses sédiments dans les hautes vallées de l'Himalaya. On y cultive l'orge, le blé, l'engrain et l'amidonnier, un héritage de cultures plus anciennes comme celle de Mehrgarh (plaine pakistanaise du Balûchistân) où la domestication de ces céréales est déjà acquise vers 7.000 av. n. ère, avec celle des dates et du jujubier. Cette céréaliculture est partiellement irriguée. On y élève le mouton, la chèvre et le buffle d'eau [1].
Sur cette base matérielle agricole, les habitants développent la métallurgie (cuivre, bronze, plomb, étain) et les artisanats. A côté des villages, grandissent des villes de maisons à plusieurs étages, pavées de rues et pourvues de système de drainage. Les sceaux gravés d'une écriture qu'on ne parvient pas encore à déchiffrer, faute de documents bilingues, attestent un développement culturel avancé. Ils servent peut-être une pratique comptable (gestion des entrées-sorties de biens) qui découle d'une complexité sociale : multiplication des échanges et hiérarchisation de la société [2].
De gigantesques terrassements au cœur des cités impliquent la mobilisation d'une main d'œuvre nombreuse, la planification des travaux et l'intervention d'une autorité centrale. Les sceaux, les statues, les bijoux montrent qu'une partie de la population profite d'une existence matérielle aisée, corollaire de la stratification sociale. Au cœur des cités, certains bâtiments servent de vastes structures de stockage.
Des architectures, statuettes et sceaux sont interprétés comme le fruit d'une intense vie religieuse centrée sur les cités et de vastes édifices collectifs. Certaines figures, interprétées comme celles de divinités, portent des attributs liés au monde agraire : épis de céréales, grains, fruits, animaux, pots et vases.
Les trois moteurs de la brasserie sont réunis dans la vallée de l'Indus à partir de -2600 :
- Abondance des sources d'amidon : ici les orges, l'éleusine, le millet et les légumineux (base matérielle et axe technique de la brasserie) et le riz. L'irrigation des champs augmente les rendements. Elle se fonde sur le cycle des inondations de l'Indus et de ses affluents. Les terres alluvionnaires favorisent la culture des céréales. Les stocks de grains sont la première condition pour que la brasserie émerge et se développe. D'immenses greniers ont été découverts dans les centres urbains de Harappa et Mohenjo-daro. Ces sont d'imposantes structures au sol de plusieurs centaines de m2, capables de stocker de grands volumes de grains. Les autorités politiques qui ont planifié et fait bâtir de telles structures contrôlent des domaines agricoles très importants. Ces greniers démontrent que les centres urbains de l'Indus collectent une part importante des récoltes qui sont redistribuées au cours de l'année à l'élite urbaine. De tels mécanismes de stockage et de redistribution des réserves d'amidon favorisent l'épanouissement économique de la brasserie. Là ou s'accumulent les grains de céréales apparaissent aussi les moyens pour les convertir en boisson fermentées, donc en bière. Mais pour que ces techniques de brassage se maintiennent et se perfectionnent, il faut aussi un moteur social, une classe sociale ayant besoin de la bière pour marquer son autorité et capable de sponsoriser la brasserie.
- Sociétés complexes et stratifiées. Le développement culturel dans le bassin de l'Indus se compare aux exemples égyptiens et mésopotamiens (axe socio-économique qui détermine la gestion codifiée des boissons fermentées à base de grains). Les cités naissent et grandissent. Ce nouveau mode de vie urbain génère une complexité sociale qui à son tour favorise la bière comme marqueur du statut social des classes dirigeantes (clans royaux, prêtres, guerriers). La consommation des plus grands volumes de grains sous forme de bière est un signe de prestige et un moyen de renforcer le pouvoir économique d'un clan ou d'une partie de la société.
- Cultes voués aux divinités agraires, comme le montrent les statuettes, les sceaux gravés et les vases. (axe religieux qui forge le régime des offrandes et des célébrations ayant les boissons alcooliques pour combustible). La prospérité agricole et l'abondance des récoltes sont les clés de la survie collective. Offrir de la bière aux divinités de la terre et des plantes lie ces dernières au destin de la communauté. Une scène processionnelle représentée sur une plaque de terre-cuite découverte à Mohenjo-daro indique que des célébrations collectives sont organisées dans les centres urbains de l'Indus.
Les archéologues ont découvert des indices matériels interprétés comme ustensiles pour brasser la bière. Hormis les nombreuses poteries et certaines jarres de grande taille, une tombe de Harappa a livré un pot perforé (H. 20 cm, D. 8 cm) posé dans une jarre (H. 27 cm, D. 32 cm), au milieu d'autres vases et coupes à boire. L'ensemble était déposé au pied du défunt. Cet ensemble funéraire est considéré comme un service à boire et à manger à l'usage du mort dans l'autre monde. Le pot-filtre percé aurait servi à filtrer la maische pour recueillir le jus de céréales fermenté, autrement dit la bière, soit à l'intérieur du cylindre perforé comme le propose Kenoyer, soit dans l'autre sens, vers la grande jarre [3]. Mais un doute subsiste. Ce dispositif de filtrage pouvait également servir pour égoutter le caillé du lait, séparer le petit lait et le fromage frais.
La preuve décisive d'une production de bière manque. L'écriture de l'Indus n'est pas déchiffrée. L'archéo-biochimie n'a pas été sollicitée pour analyser des résidus imprégnés dans des poteries (ou ses résultats n'ont pas été publiés). Aucune représentation ne figure une scène évidente de boisson fermentée, à notre connaissance. Les futures recherches archéologiques confirmeront, nous le pensons, la règle d'émergence de la Brasserie au coeur des cités de l'Indus, règle qui s'est vérifiée en Mésopotamie, en Egypte et en Chine. Cette présomption est d'autant plus solide que les bordures occidentales de l'Indus connaissent la bière à cette époque (Shahr-i Shokhta, Tepe Yaya). Plus tard, après l'effondrement des cités de l'Indus, la culture védique qui s'épanouit dans la région vers -1300 atteste sans conteste la présence de la brasserie et de procédés de brassage suffisamment sophistiqués pour être le fruit d'une évolution autochtone.
[1] Le site de Mehrgarh est un des plus anciens foyers agricoles du sud-asiatique.
[2] La nature scripturaire des signes gravés de l'Indus fait l'objet d'un débat. Certains n'y voient qu'un assemblage signifiant de symboles, pas une écriture. http://www.safarmer.com/fsw2.pdf
[3] J. M. Kenoyer 1998, Ancient cities of the Indus Valley Civilization, p 155 et Cat. no 192, p 236. Perforated jar found at Harappa, H. 20 cm, D. 8 cm. « Another distinctive vessel associated with the Indus cities is the perforated cylindrical jar that may have been wrapped in cloth and used as a strainer for the preparation of fermented beverages (fig. 8.16). These vessels have been found with burials offerings in the Harappan cemetery, where they are placed vertically inside large open-mouthed vessels (fig. 8.17) that may have been filled with fermenting mash, probably barley. From the cloth on the outside, the numerous perforations would allow the liquor to strain through and dipper in the central hollow area and be removed with a dipper or by long straws. Studies of the sediments inside these perforated vessels have not revealed the nature of the beverage being brewed, but ongoing research of the porous pottery itself may recover some traces of organic materials to help identify the vessels's contents. » (op. cit. 134). Les analyses promises par Kenoyer n'ont hélas pas été publiées.