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Comment les Songola brassent leurs bières.
Le riz non décortiqué (mùfùngà), le maïs (ìsàngû) et le manioc (môsôngy) sont préparés séparément. Les femmes Kuko considèrent le riz comme indispensable à la fermentation alors que le maïs est souvent omis. Au contraire, les femmes Enya, ne disposant que de petits champs, omettent souvent le riz car le riz non décortiqué est beaucoup plus difficile à trouver sur les marchés que le maïs. La production est assurée exclusivement par les femmes. Les hommes mélangent et vendent généralement la liqueur que leurs femmes ont fabriquée.
L’intégralité du processus de fabrication de la bière comporte 4 phases :
- La confection des ferments à base de riz avec culture de mycélium.
- La préparation du malt de maïs et la culture de mycélium.
- La cuisson de la pâte de manioc.
- Le brassage proprement dit.
Les schémas techniques ont été dessinés par Takako Ankei, les photographies prises par ses soins.
A. - T. Ankei décompose la préparation des ferments à base de riz en 11 étapes.
Elle comprend la confection des boulettes de ferments à bière, la technique qui nous intéresse ici.
- Le riz, récolté en février-avril, est stocké sous forme de bottes d'épis, et est parfois stocké dans un contenant métallique sous forme de grains battus avant les saisons de culture. Le battage s'effectue en foulant les bottes.
- Les grains de riz non décortiqués sont mis dans un mortier (kilùngà) et sont grossièrement écrasés avec un pilon (mùtùti).
- On verse de l'eau sur le mélange du riz décortiqué, du son et des enveloppes jusqu'à ce qu'il devienne humide et homogène.
- Le mélange humide est placé dans un panier à nourriture (kitutu) garni de feuilles d'arbre, et le contenu est recouvert des mêmes feuilles. Les arbres ayant de grandes feuilles sont choisis : Vernonia conferta Benth. (Compositae, nom Songola mùbângàlàlâ) et Caloncoba welwitschii (Oliv.) Gilg (Flacourtiaceae, kilûmbûlûmbù ki mùkàli). Ces feuilles, utilisées spécialement à cet effet, ont une surface velue alors que les feuilles des herbes Marantaceae, habituellement utilisées pour envelopper les aliments, ont une surface lisse.
- Le panier contenant 20 à 30 litres de riz humide est entreposé dans un coin sombre d'une chambre ou d'un cellier. Au cinquième ou sixième jour, on observe que des moisissures recouvrent le riz pilé, et les Songola disent qu'à ce stade, il y a déjà trace de l'odeur spécifique de l’alcool. Les moisissures sont appelées lùbùngi par les Songola. Ce terme Songola inclut les moisissures qui se développent sur toute autre denrée alimentaire ainsi que le brouillard dense du fleuve Congo.
- Du dixième au seizième jour, le mélange de riz, transformé en petits morceaux par les champignons, est pilé soigneusement dans un mortier.
- Le riz fermenté pilé est enveloppé dans des feuilles d'arbres comme à l'étape 4, puis placé dans un panier. Il est ensuite placé sur une étagère appelée kiliyâ, au-dessus de l'âtre. Après trois jours, le contenu devient complètement sec.
- Le contenu sec est à nouveau pilé.
- On fait passer le résultat à travers un tamis kàyùngi dans un panier large et peu profond lùèlì. On obtient une poudre grise.
- Cette poudre est recouverte de feuilles comme dans les opérations 4 et 7. Ce produit est appelé vyambo en swahili, un mot qui signifie généralement appâts pour la pêche ou appâts dans un piège pour animaux.
- Le panier est stocké sur l'étagère des aliments jusqu'à ce que tout soit prêt pour le début du brassage proprement dit.
B. - T. Ankei décompose la préparation du malt de maïs en 9 étapes.
C'est aussi un processus critique car le maïs malté et encore humide est enveloppé dans des feuilles d'arbre pour qu’il se recouvre de mycélium. Le maïs est toujours utilisé en complément du riz chez les Kuko alors qu'il est parfois utilisé indépendamment chez les Enya. La préparation du maïs est pratiquement la même que celle du riz. La différence est qu'on le fait germer avant d’y cultiver du mycélium.
- Le maïs est récolté deux fois, en décembre-janvier et en avril-mai (Ankei, 1981). Bien que les jeunes épis mous du maïs soient cuits, les grains matures sont exclusivement utilisés pour la brasserie.
- Les épis sont décortiqués. Contrairement au riz, les grains ne sont pas écrasés.
- Les grains sont trempés dans l'eau pendant deux ou trois jours.
- Les grains trempés sont enveloppés dans les mêmes feuilles que pour la préparation du riz et sont placés dans un panier.
- Le panier est placé dans un coin sombre d'une chambre ou d'un débarras pendant trois jours, le temps que les grains germent.
- Les grains germés sont écrasés dans un mortier.
- Les grains écrasés et enveloppés dans les feuilles se couvrent de moisissures et, après plusieurs jours, l'odeur d’alcool commence à se faire sentir.
- Les grains couverts de moisissures sont à nouveau battus dans un mortier, mais on ne les fait pas passer dans un tamis, comme pour le riz.
- Le produit, également appelé vyambo, est stocké séparément du riz dans un panier sur une étagère pour les aliments.
C. - T. Ankei décompose la cuisson de la pâte de manioc en 7 étapes.
La farine de manioc (lôpôtô) est préparée à partir de cultivars amers (mosongy wàchywâ). Les tubercules sont trempés dans l'eau afin de dissoudre le cyanure toxique qu'ils contiennent. Le procédé est le même que celui de la préparation du bùkâlì (ugali en swahili), l'un des aliments de base des Songola.
- Le manioc amer est épluché, pour se débarrasser des parties les plus toxiques des tubercules.
- Les tubercules épluchés sont trempés dans un bassin peu profond près de la source dans la forêt pendant environ trois jours. Les tubercules trempés deviennent mous lorsque le poison est dissous. On les met dans des paniers et on les ramène au village.
- Les tubercules détrempés sont mis dans un mortier et pilonnés. On enlève les fibres dures et resistantes.
- Les tubercules écrasés sont formés en boules d'un diamètre de 15 à 20 centimètres. Ces boules sont appelées kimùndà ki mosôngy.
- Les boules de manioc sont séchées sur une étagère à aliments. Il faut environ quatre jours pour qu'elles soient sèches.
- Les boules de manioc sèches sont pilées dans un mortier.
- Le contenu du mortier est passé au tamis dans un panier peu profond pour obtenir une fine farine de manioc amère (lôpôtô).
D. - T. Ankei décompose le brassage en 6 étapes.
Le riz fermenté par les moisissures (A) et/ou le maïs germé et fermenté par les moisissures (B), ainsi que la farine de manioc (C) sont mélangés à de l'eau pour former la bouillie dans laquelle se déroule la fermentation alcoolique. Les Kuko préfèrent le riz au maïs et ne font pas de boissons alcoolisées sans riz. Il faut dix à seize jours pour la préparation du riz et du maïs, et sept jours pour la farine de manioc. Les Songola disent que le riz et le maïs attendent que les boules de manioc soient sèches. La préparation de la maische se fait dans un espace ouvert au bord de l'eau. Ce kiwanja ki màly, ou espace ouvert pour les liqueurs, est généralement situé dans la brousse non loin du village. La fermentation et la distillation qui s'ensuivent se déroulent dans cet espace ouvert.
- On fait bouillir de l'eau dans une grande marmite métallique. La farine de manioc préparée à l'étape C-7 est versée progressivement dans l'eau bouillante.
- Le contenu est malaxé avec une longue spatule (mùlûwà) pour obtenir une pâte de manioc chaude et collante, bùkâlì.
- La pâte de manioc chaude est étalée directement sur le sol jusqu'à ce qu'elle soit assez froide pour être touchée avec les mains. Cette pâte de manioc chaude est remise dans le même pot. Le processus de refroidissement est suivi très attentivement car la fermentation qui s'ensuit échouera si la pâte est trop chaude.
- La pâte de manioc est mélangée à de la poudre de riz et de maïs. Une part de poudre de riz (et/ou de maïs) est versée sur 2 à 3 parts de pâte de manioc et le résultat est soigneusement malaxé à la main jusqu'à ce que le mélange devienne homogène.
- Le contenu est mis dans un bidon ouvert (ngùngùlù), et recouvert de feuilles de bananier (kàânì).
- Après sept à vingt jours, le mélange dans le bidon est prêt à être distillé. Lorsque la fermentation est terminée, la pâte devient souple et fluide. L'intervalle entre le mélange et la distillation peut être contrôlé par l'épaisseur de la pâte de manioc à l'étape D-2 : une pâte de manioc souple (bùkâlì byâ tèmbà) prend moins de temps qu'une pâte dure (bùkàâlì byâ nùnâ).
Nous ne faisons qu’évoquer la distillation. Ankei lui consacre plusieurs descriptions puisqu’elle a constaté que les Songola lui accorde du temps et des ressources. Pour Ankei, la distillation constitue la 5ème et ultime phase du brassage. L’évolution des boissons fermentées vers les alcools distillés est une tendance lourde en Afrique et sur d’autres continents, relativement récente (deux à trois siècles) au regard de l’histoire multi-millénaire des bières traditionnelles.
La distillation répond à plusieurs « besoins » : un goût pour des boissons plus alcooliques, des alcools qui se conservent (une bière tradictionelle doit être bue dans les 2 à 3 jours), des alcools qui peuvent se vendre et s’acheter. Ses nouveaux besoins sont la conséquence des bouleversements subis par les sociétés traditionnelles africaines : déstructuration sociale resultant d’une colonisation souvent brutale, introduction des alcools distillés européens vers le 17ème siècle, lente diffusion du monde marchand occidental et de ses propres règles du jeu économique (acheter/vendre et non plus échanger/partager, travail individualisé contre salaire et non plus travail collectif contre bière et nourriture, etc.).