Les Statues-Rivière et les cuves de fermentation en Mésopotamie (2è mil. av. n. ère)
Autre thème mettant en lumière la bière dans ses rapports avec les rituels de fécondité : celui des statues-symbole de la fertilité du pays. On a retrouvé plusieurs statues ou représentations de statues-symbole de l'Abondance. Une divinité féminine debout porte entre ses mains un vase d'où s'écoulent des flots, figurés par des ondes à la surface de sa robe. Plusieurs inscriptions royales, glorifiant la générosité des souverains, décrivent des statues de cuivre, représentation de rivière tenant un vase.
L'une d'elles appartient à Warad-Sîn, roi de Larsa entre 1834 et 1823 av. n. ère :
« Quand le dieu Nanna son Seigneur fut favorable à ses prières et ses supplications, il plaça 7 statues de rivière en cuivre avec des cuves d'abondance en cuivre dans leurs mains. Le jour de la cérémonie des offrandes, bière, vin et bière-emmer … »[1].
Le type d'offrandes, toutes des boissons fermentées et en particulier la bière, fait clairement référence à l'élément liquide et la bière des rites agraires vus auparavant.
Le texte appelle ces cuves d'abondance níḡ-dúr-bùr (akk. namzitu), terme qui désigne aussi la cuve de fermentation du brasseur. Cet emploi se justifie d'abord par un dispositif technique : la cuve de fermentation munie d'un orifice à sa base laisse s'écouler la bière fermentée, comme l'eau des vases tenus par les statues. Il existe aussi des raisons symboliques fortes. Quel objet concrétise mieux un pays fécond qu'une cuve débordante de bière? La bière est le fruit désiré des riches moissons de grains. Cette cuve, hormis le mystère qu'elle enferme pendant la fermentation, ne fait-elle pas s'écouler la richesse tangible des greniers, à savoir la bière ?
Au palais de Mari fut découverte une statue-rivière équipée d'un conduit à sa base, lui-même relié au vase muni d'un trou que la statue tient entre ses mains [2]. Il n'est pas établi que ces statues tiennent une cuve de fermentation, même si níḡ-dúr-bùr signifie littéralement "vase-avec-trou-au-fond". Néanmoins, l'écoulement depuis un vase perforé symbolise aux yeux des Mésopotamiens abondance et fertilité.
La cité de Mari, bien que bâtie sur les bord du Moyen-Euphrate, vivait sous la forte influence culturelle du sud mésopotamien akkadien, du moins les dirigeants qui habitaient le palais de Mari où cette statue-rivière se trouvait. La description des statues-rivière rappelle la façade du temple Karaindaš à Uruk, décoré de sculptures porteuses de vases alimentés par le fond. Un lien symbolique existe entre le débordement des eaux (les crues de l'Euphrate et du Tigre), la fertilité de la terre, l'abondance des grains qui en résulte chaque année, et finalement sa traduction concrète en boisson fermentée symbole du pays, la bière.
[1] Richard Ellis 1977, Mountains and Rivers, Bibliotheca Mesopotamica 7 : pp 30, 33-34.
[2] André Parrot 1959 : Le Palais : documents et monuments MAM 2/3, pp. 8-9. Le mode d'emploi diffère. Pour la cuve de fermentation, le trou basal fait s'écouler la bière par gravité. Dans le cas du vase d'abondance, la perforation s'adapte au bas du vase à un conduit d'alimentation, dispositif destiné à produire un effet de jaillissement liquide par le haut.