Les mašdaria comme dons de pain et de bière en Mésopotamie (3è-2è mil. av n. ère).
Prêtres et brasseurs ne sont pas seuls à fournir la table royale en orge et bière pour ces festivités agraires. Une partie de la population offre au palais et aux sanctuaires les mašdaria, cadeaux en nature composés de bière, de pain et d'animaux. Les prêtres-sanga recueillent ces offrandes qu'ils enregistrent avant de les redistribuer. Ainsi s'exprime la piété populaire, pour autant que ces "cadeaux" soient spontanés. Le terme maš-daria signifie mot à mot "chevreau apporté (offert) ". A l'origine, chaque obligé du palais doit offrir un chevreau, sorte de dîme perçue par le palais ou de quote-part au régime des offrandes dans les premiers temps de la religion sumérienne.
Au milieu du 25ème siècle, son acceptation s'élargit. Les mašdaria embrassent tous les produits de la terre (grains, fruits, légumes, bois), de l'élévage (ovins, oiseaux, lait, yaourt) et de la pêche. Fait marquant, les ingrédients de brasserie y figurent très souvent : diverses sortes de bière, pains à bière de plusieurs tailles, malt, orge grillée. Les offrandes les plus courantes : pain, bière, datte, huile et farine. Ces dons de substitution que chacun peut se procurer facilement sont proportionnés au rang social des donateurs de la société de Lagaš, depuis les paysans, les bergers, les pêcheurs et les bûcherons jusqu'aux notables, prêtres et responsables administratifs en passant par les chefs d'équipes.
Les occasions sont très variées : grandes fêtes collectives, célébrations religieuses annuelles, cultes aux morts, naissance d'une fille de la princesse ou encore rassemblement des troupeaux. Les fêtes du cycle de l'orge comptent parmi ces évènements majeurs, à en juger par le volume et la nature des offrandes dont le pain et la bière forment la plus grosse part. Les mašdaria instituent un flux d'offrandes convergeant vers le palais et entreposées par lui, en attendant d'être présentées ou sacrifiées aux dieux par l'entremise du prince ou de la princesse. En contrepartie, le palais redistribue de la bière et du pain lors des repas communautaires ou des rituels festifs. Cette circulation réciproque célèbre et concrétise l'opulence et la fertilité du pays. L'archéologie a retrouvé dans l'architecture des palais du 3ème millénaire de grandes salles et de vastes cours, théâtre probable des festivités.
Nous savons par quelques tablettes de la ville d'Isin qu'on offrait des paniers remplis de gâteaux à l'endroit des greniers, au 5ème mois de l'année, moment du convoyage de l'orge vers les silos[1]. A l'image de la boisson fermentée, ses pâtisseries célèbrent l'allégresse collective suscitée par la nouvelle récolte.
La pérennité des rites agraires du cycle de l'orge durant les troisième et second millénaires est frappante, ainsi que la place centrale de la bière. Pour la fête des semailles attestée à Umma et Girsu durant l'époque d'Ur III (2112-2004), on donne de la bière aux équipes de laboureurs pour les libations rituelles de bière, kaš-dé-a = "bière versée". Initiée par le palais, cette livraison de bière aux laboureurs montre que l'institution centrale participe directement à ces rituels incorporés dans sa gestion.
En écho à cette coutume, la Chanson du bœuf de labour relate l'histoire d'un Fermier – divin ou royal – qui doit exhorter un bœuf à tirer l'araire. Il reçoit en rêve la visite de divinités de l'agriculture. Elles lui révèlent la manière de convaincre l'animal. Le bœuf acceptera finalement son joug. Conséquence attendue, tout se termine joyeusement à la taverne où l'on rend hommage à la déesse Inanna[2]. La Chanson conclue "dans la maison à bière, la joie de boire, Inanna […] un endroit de repos, [son coeur] est content de nouveau ". Cette composition littéraire montre que la relation entre culture de l'orge et célébration religieuse avec la bière inonde tous les niveaux de la société mésopotamienne. Cette chanson a probablement été écrite pour (et par?) le roi Lipit-Ištar (r. 1934-1924).
[1] G. Th. Ferwerda 1985, A Contribution to the Early Isin Craft Archive : 21.
[2] Miguel Civil 1976, The Song of the Plowing Oxen (Festschrift KRAMER) : 89.