La protohistoire de la bière en Amérique du Nord.
1 - Le bassin brassicole nord-américain et la bière des amérindiens.
Nous suivons pour l’Amérique du Nord le canevas protohistorique utilisé pour les autres bassins brassicoles d’Amérique et de la planète, à savoir :
- Le socle primitif des boissons fermentées mixtes
- L’émergence des bières comme boissons fermentées autonomes
- Le stade où la bière devient la boisson culturelle principale
La protohistoire de la bière en Amérique du Nord (Mexique inclus) présente des spécificités et des difficultés liées aux documents. Comme pour l’ensemble du continent américain, la vie de ses habitants ne nous est connu qu’à partir de 1492[1]. Année des premiers contacts, année catastrophe pour les peuples amérindiens, année zéro pour l’historiographie du continent. L’Amérique du Nord représente le cas le plus extrême de ce choc des civilisations. Chaque fois qu’ils ont posé le pied sur le sol Nord-américain, Espagnols, Français, Anglais, Néerlandais ont décrit des peuples de chasseurs-cueilleurs, quelque fois agriculteurs (les Trois-Sœurs : maïs-courges-haricots, ou encore graminées- caroubier dans le Sud-Ouest). Aucune société hautement hiérarchisée comparable à celles des Aztèques, des Mayas ou des Incas.
Les premiers récits ne mentionnent aucune boisson fermentée quelle que soit la région : nord du Mexique, Sud-ouest américain, Floride, Mississippi, Canada, Caroline, etc. Tous décrivent des peuples qui boivent de l’eau, des décoctions de plantes psychotropes, et fument du tabac. Le mythe de l’Indien ignorant les effets de l’alcool est né. Il aura la vie longue.
Les enquêtes ethnologiques postérieures, les fouilles archéologiques ont depuis révélé que les Amérindiens connaissaient les boissons fermentées bien avant l’arrivée des Européens et savaient brasser diverses sortes de bières traditionnelles au moins 6 siècles avant les premiers contacts. Ces données, certaines très récentes, relancent la question du rôle de la bière et de l’histoire de la brasserie amérindienne sur le sous-continent nord-américain.
Les peuples du Grand Sud-ouest sont les plus représentatifs (Pueblos ancestraux, Zuňi, Hopi, Pima, Yuma, …). Cultivateurs de maïs dès le 2ème millénaire v. n. ère, ils adoptent la bière comme boisson fermentée principale vers le 10ème siècle. La bière est intégrée dans leurs cérémonies, leurs rituels. La bière fait partie de leur vie sociale depuis un millénaire au moins.
Mais qu’en est-il des autres peuples nord-américains ? L’exception Nord-américaine (absence de boissons fermentées) ne serait qu’apparente.
2 - Le socle primitif des boissons fermentées mixtes.
Reconstituer le socle primitif des boissons fermentées amérindiennes en Amérique du Nord est une gageure. La valeur ethnographique des documents les plus anciens est faible. A partir du 19ème siècle, l’entreprise coloniale Nord-américaine change de visage : on compile des observations sur les peuples amérindiens en voie de disparition. Mais la dimension historique manque. Les textes décrivent des peuples dits Sauvages, figés dans une sorte de préhistoire, sans héritages historiques ni vestiges archéologiques. Néanmoins, ces compilations découvrent que les Amérindiens connaissent les boissons fermentées : fruits, sève d’agave ou d’érable, baies, jus sucré des tiges de maïs, grains de maïs, graines de caroubier ou de chénopodes. Les plus anciens récits d’explorations menées par les Espagnols en témoignent.
En 1540-42, Francisco Vázquez de Coronado se lance à la recherche d’une mythique cité de Cibola. Dans les vallées mexicaines de la Sonora et de la Suya, le long du golfe de Californie, les Espagnols livrent la plus ancienne attestation de boisson fermentée pour l’Amérique du Nord, si on excepte le Mexique central : « Les plus grandes fêtes sont les jours de marché... A ces moments-là, ils s'enivrent tous. » et « Ils boivent du vin fait de pitahaya [la fleur du cactus Hylocereus undatus], qui est le fruit d'un grand chardon qui s'ouvre comme la grenade. Le vin les rend stupides. »[2]. Idem avec les tunas, fruits du cactus Opuntia. Le pitahaya est : « un cactus géant que l'on trouve sur les hauts plateaux de la Gila et sur la plupart des hautes plaines de toute cette région. Il porte un fruit de la taille d'un œuf de poule, de couleur verte, teinté de rouge blanchâtre. Lorsqu'il est mûr, le fruit éclate, exposant une pulpe au goût mièvre. Le soleil la fait sécher jusqu'à environ un tiers de sa taille, puis elle se détache de son enveloppe. Elle a alors la consistance d'une figue sèche. Les Pimas et quelques autres Indiens recueillaient ces pulpes qu'ils roulaient en boules et faisaient bouillir jusqu'à obtenir la consistance de la mélasse. Le fruit et son jus étaient également fermentés de diverses manières pour servir de boisson. »[3]
Les Pima fabriquaient du tesvino de maïs, et parfois du mescal, ou se fournissaient en sotol au Mexique (La Barre 1936, 232. Voir Biblio). Les peuples Tohono O'odham, Piman, Apache et Maricopa tous employaient le cactus Saguaro pour produire un vin, quelquefois appelé tiswin ou haren a pitahaya. Le fruit de plusieurs espèces d'Opuntia, notamment 0. Tuna Mill. et 0. Ficus-Indica Haw., a également été utilisé par les Indiens du Mexique pour fabriquer une boisson enivrante, appelée colonche, de couleur rose et au goût de cidre brut. Les Coahuiltecan qui habitaient la vallée du Rio Grande combinaient le laurier de montagne avec la sève d'agave pour créer une boisson alcoolisée semblable au pulque. Le miel sauvage sert également à préparer de l’hydromel. Les Amérindiens du Grand Sud-ouest savent préparer des boissons alcooliques avec tout ce qui fermente spontanément.
On trouve de rares observations de boissons fermentées à base de fruits, d'aloès, de maguey, de figues de barbarie, de pitaya, de raisin sauvage ou de baies le long de la côte Pacifique, de sève d’érable au Canada, de maïs chez les Hurons du lac Ontario ou chez les Muskogee et les Cherokee des Appalaches.
Les témoignages des 18ème et 19ème siècle décrivent un ensemble de boissons fermentées non spécialisées dont la confection est conditionnée par la logique de la cueillette. Selon les saisons et les écosystèmes, les Amérindiens font fermenter les fruits, les sèves de cactus, les graines ou le miel. Les boissons sont issues du mélange de tout ce qui peut fermenter à un moment de l’année. La bière n’est pas une boisson autonome.
L’agriculture des Trois Sœurs coexiste avec la collecte des plantes et la chasse depuis la généralisation de la culture du maïs sur presque tout le sous-continent Nord-américain. Il en résulte un patchwork de peuples et d’organisations sociales très variées adaptées à leurs environnements qui se constitue entre le 10ème et le 16ème siècle. Le maïs et l’agriculture ne semble pas avoir un rôle prépondérant. Une grande majorité du territoire nord-américain semble dépourvu de boissons fermentées traditionnelles à l’époque moderne.
Quelle valeur historique accorder à ces témoignages épars ? Les reconstructions historiques restent floues et parcellaires. Elles se fondent sur des données très hétérogènes, linguistiques, archéologiques et historiques.
L’archéologie apporte heureusement une profondeur historique qui contrebalance cette vision plate du passé des sociétés Nord-amérindiennes.
3 - L’émergence des bières comme boissons fermentées autonomes.
Les données du problème sont résumées par Valery Havard en 1896 :
« La culture du maïs, comme nous le savons, s'est rapidement répandue vers le nord à partir du Mexique, de sorte que même avant l'époque de Colomb, c'était la principale culture de tous les Indiens agriculteurs du Rio Grande au Saint-Laurent et de l'Atlantique au Colorado de l'Ouest. Compte tenu de l'abondance du maïs chez nos Indiens et de leur penchant pour toutes les substances intoxicantes, il semble presque incompréhensible que la technique primitive et très simple de la fabrication de la bière de maïs n'ait jamais été introduite au nord du Rio Grande. »[4].
Havard réduit la panoplie des bières amérindiennes à la seule bière de maïs. Obnubilés par la chicha de maïs des Andes, les chercheurs nord-américains ignorent ou négligent souvent les bières brassées avec d’autres plantes amylacées. Les Amérindiens savent aussi brasser de la bière avec les graines de caroubier ou avec des racines amylacées comme la patate douce, le manioc ou le wapato, la pomme de terre indienne.
Le rôle du maïs et de l’agriculture.
Le maïs est une plante indigène du continent américain, domestiquée il y a environ 5000 ans dans le centre du Mexique. Un millénaire plus tard, la culture du maïs se répand dans les régions tropicales d’Amérique centrale et du sud. Une variété de maïs dite Northern Flint, avec un épi d’à peine 5 cm, est cultivée dans le Sud-ouest américain vers 2100 av. n. ère (Rocheuses, Mesa Verde). Cette technique et les plantes associées (courges, haricots) sont transmises de proche en proche depuis le Mexique central vers les actuels Arizona et Nouveau-Mexique, contrées plus arides que la région d’origine du maïs qui s’est adapté.
La culture du maïs est attestée vers 800 et 1000 dans le centre (Missouri, Mississippi) et vers 900 dans l’Est du sous-continent (Appalaches)[5]. Le maïs est présent sur les bords du lac Ontario vers les années 900-1000. Sa limite la plus nordique est atteinte sur les rives du fleuve Saint Laurent vers 1400. Les peuples de culture iroquoienne et mandan l’adoptent et en font leur aliment principal.
L’analyse de squelettes fossiles montre que la part du maïs dans l’alimentation augmente sensiblement vers 1000-1300 pour les Amérindiens du Massachusetts, d’Illinois, d’Ohio, et de Virginie occidentale[6].
Les autres plantes amylacées.
Partout, la culture du maïs est associée aux haricots et aux courges. Les haricots sont cultivés en Amérique du Nord depuis aussi longtemps que les variétés de maïs, de même la patate douce et le manioc dans le sud du sous-continent. Les caroubiers (Prosopis, mesquite bean) originaires du sud-ouest américain ont fourni une importante ressource d’amidon issue de la cueillette des gousses, amidon qui a servi à brasser de la bière dans le sud-ouest américain. Il faut ajouter à cette liste d’autres plantes natives du Sud-ouest comme les chénopodes, les gourdes, le haricot Tepary bean résistant à la sécheresse. On trouve dans le Nord et le Sud du sous-continent le wapato (pomme de terre indienne, Sagittaria latifolia) que Louis Nicolas identifie en 1664-1675 et nomme par son nom iroquois ounonnata. Cette plante aquatique originaire d’Amérique du Nord produit des rhizomes riches en amidon, une ressource alimentaire essentielle pour les Amérindiens qui la collectent en automne et en hiver. Certaines espèces de Salsepareille (Smilax) à racines amylacées ont servi à brasser de la bière au Canada sans qu’on sache si cette boisson existait avant la colonisation[7].
La littérature signale au 19ème siècle le brassage par les Amérindiens de bières de manioc, de patate douce ou de caroubier dans le Sud-ouest et le Sud-est. Un siècle après Valery Havard, les chercheurs nord-américains réitèrent le constat d’une absence problématique des boissons fermentées en Amérique du Nord avant les premiers contacts, surtout parmi les peuples des Appalaches et du Mississippi qui comptent parmi les sociétés les plus avancées d’Amérique du Nord entre 800 et 1600 : « Le premier contact avec les Européens a eu lieu en 1513 lorsque Juan Ponce de Leon a découvert la Floride. Il n'existe que peu de preuves de l'existence de boissons alcoolisées avant le contact avec les Blancs, mais les ingrédients ne manquaient pas ; le style de vie agricole des tribus du sud-est était un cadre idéal pour la production d'alcool. On suppose également que les Indiens de Méso-Amérique ont pu entrer en contact avec les tribus de la vallée du Mississippi en traversant le golfe du Mexique (Josephy, 1991). Si cela s'est produit, les Indiens méso-américains ont pu partager leurs connaissances sur la production d'alcool... » [8]
La bière des Pueblos ancestraux.
Les Anciens Pueblos du Chaco Canyon brassent de la bière de maïs avant tout contact avec des colons Européens. Trois tessons découverts à Pueblo Bonito en 2006 et datés entre 800 et 1100 (1 bol tacheté de la culture Mogollon 1 pot cylindrique, 1 pichet à décor noir/blanc), portent des traces de composés organiques comparables à ceux de poteries à bière des Tarahumara (Nord Mexique)[9]. En 2007, des traces caractéristiques de fermentation (piqûres et microperforations sur les parois internes des récipients) ont été observées sur des tessons provenant de sites Ancestral Puebloans du Nouveau-Mexique.
Une recherche plus récente menée en 2016 à Casas Grandes (site de Paquimé, Etat de Chihuahua, Mexique) sur les dents de squelettes exhumés lors de fouilles des années 1950-60 a révélé des granules d’amidon et des phytolithes de maïs fossilisés dans le tartre. Les granules d’amidon présentent les déformations caractéristiques de la fermentation alcoolique (gonflement, striures) observables sous microscope électronique et lumière polarisée.
Plus intéressant encore, les 110 squelettes étudiés ont été enterrés à Casas Grandes entre 700 et 1450, période de développement et d’expansion des sites situés dans la vallée de Casas Grandes. Mais les traces de maïs fermenté n’apparaissent sur les dents que vers 1200 (Medio Period de Casas Grandes). L’adoption de boissons fermentées à base de grains coïncide avec une évolution sociale majeure qui impacte l’économie de subsistance[10].
« Transformer le maïs en bière pendant la période Medio, cependant, pourrait suggérer un afflux de nouvelles idées - ou peut-être même de personnes - à cette époque, ce qui pourrait indiquer une influence extérieure - soit des étrangers venant à Casas Grandes, soit des locaux voyageant et revenant avec de nouvelles idées. » (David King 2016)
Bière expérimentale de maïs selon un procédé de brassage des Tarahumara (Mexique). | Zone résidentielle du site de Paquimé, Casas Grandes, Chihuahua au Mexique, culture Mogollon. | Effigie d'une femme avec un vase, Paquimé, culture Mogollon. | Récipients de Pueblo Bonito, pièce 28 bloquant l'accès à la pièce 51, fouilles de 1896. |
Le 12ème siècle semble être une période charnière pour le Grand Sud-ouest américain. Les évolutions se propagent depuis le centre du Mexique. Casas Grandes devient au 14ème siècle une cité abritant environ 3000 personnes, un comptoir commercial entre le centre du Mexique et le Sud-ouest, un centre de pouvoir politique et le noyau d’une société hiérarchisée. Les détails historiques de ces évolutions locales restent encore très flous, de même leurs impacts sur les sociétés amérindiennes d’Amérique du Nord.
L'étude de la répartition spatiale et chronologique des céramiques à boire dans le site de Pueblo Bonito (Chaco Canyon, Nouveau Mexique) depuis 900 a montré que la forme des récipients varie selon le temps, la nature des boissons et la catégorie sociale[11]. Les plus anciens (600-700) imitent les gourdes végétales. La fréquence des pichets et des jarres cylindriques entre 900 et 1100 indique une période où les boissons fermentées et le cacao venu du Mexique central jouent un rôle majeur dans la vie sociale, les rites et les échanges. L’analyse des jarres cylindriques indique qu’elles servaient à préparer et boire des boissons caféinées comme le chocolat ou le casiné (Black drink). Vers 1100, les vases cylindriques disparaissent et laissent place aux pots de taille plus petite pour des boissons variées dont la bière de maïs. Casas Grandes ne nous dit pas quand sont apparues les bières de maïs dans la région mais quand elles ont joué un rôle prédominant dans l’organisation des sociétés amérindiennes de la région et dans leurs complexes religieux.
-2000 |
? |
300* |
≈1000 |
1600 |
Complexe agricole des Trois-Sœurs |
Apparition de la bière de maïs |
Le rôle de la bière se renforce avec celui du maïs |
La bière de maïs associée aux élites et aux complexes religieux |
Choc de la colonisation |
Socle primitif des boissons fermentées mixtes |
La bière de maïs émerge parmi les boissons fermentés mixtes |
La bière se détache des autres boissons fermentées (vins, hydromel) |
La bière de maïs devient la boisson principale |
Domination politique espagnole et régression sociale |
* Début de la culture Mogollon, date symbolique sans preuves matérielles concernant l'importance croissante de la bière. |
Ces données convergent pour fixer provisoirement vers le 10ème siècle le moment où la bière de maïs devient l’une des principales boissons fermentées dans le nord du Mexique et le Sud-ouest américain. Un grand décalage chronologique existe entre l’adoption de l’agriculture des Trois Sœurs dans la région vers -2000 et ce rôle central joué par les bières de maïs. L’hydromel, les vins de maguey (pulque), de tunas et de fruits sont préparés et incorporés dans les cérémoniels depuis la période classique (300-600) de l’ancien Mexique, et sans doute avant. Les bières de maïs sont apparues ou se sont séparées des autres boissons fermentées primitives à une époque inconnue. Ce décalage chronologique confirme que les mécanismes qui accordent à la bière une fonction centrale ne sont pas seulement techniques (culture du maïs, poterie, fermentation) mais également sociaux-économiques (hiérarchie, segmentation sociale, consolidation d’un pouvoir politique) et religieux (rites de fertilité, sacerdoce de prêtres spécialisés dans les rituels collectifs). Beer-Studies pour une discussion détaillée sur la protohistoire des bassins brassicoles dans le monde. Ces trois facteurs combinés expliquent que deux millénaires séparent les premières agricultures fondées sur les Trois Sœurs et la prévalence des bières de maïs dans les sociétés amérindiennes du Sud-ouest. Les dernières étapes de cette évolution ont été étudiées sur la base de données archéologiques, linguistiques et ethnologiques.
Deux routes probables ont diffusé de proche en proche depuis le nord du Mexique un ensemble de pratiques sociales et de techniques : la culture des Trois Sœurs et les techniques associées (irrigation, alimentation, brasserie), les complexes religieux associant plantes alimentaires, rites de fertilité/pluie, et cycles annuels. Ces nouvelles pratiques ont été intégrées aux anciennes : la bière de maïs ne fait pas disparaître le pulque, l’hydromel et les autres boissons fermentées[12].
La bière des indiens Zuňi.
L'archéologie suggère que les Zuňis habitent leur emplacement actuel, la vallée de la rivière Zuni, depuis presque 3000 ans. A cette époque, le peuple ancestral Zuni irrigue de minuscules parcelles de terrain pour cultiver le maïs et les autres plantes associées. Depuis quand brassent-ils de la bière de maïs ? Depuis le 8ème siècle au moins selon les données de Pueblo Bonito, mais certainement avant avec l’évolution de la culture Mogollon entre le 3ème et le 15ème siècle[13].
La tradition brassicole des Zuňi ne s’est pas interrompue depuis le 12ème siècle, époque supposée de son introduction depuis le Mexique ou de l’invention autochtone des bières de maïs dans le Grand Sud-Ouest américain. Les communautés Zuňi possèdent une structure sociale relativement complexe et des cérémonies annuelles très sophistiquées. L’une d’elle célèbre la Mère-terre, la fertilité et la venue du maïs qui conditionne l’existence matérielle des Zuňi. Le rituel du hla'hewe est joué tous les quatre ans au mois d'août, lorsque le maïs est haut d'un pied, afin de louer la pluie et le maïs et de les faire venir en abondance. Il s'agit d'un rite de fécondité. Ces rites s’accompagnent d’un brassage de bière de maïs et de sa consommation collective rituelle. Les techniques de brassage documentées au 19ème siècle montrent que la bière de maïs est devenue la principale boisson fermentée. C’est une boisson autonome, séparée des autres boissons fermentées et l’objet d’une technologie avancée entre les mains des femmes.
Les femmes Zuňi maîtrisent le maltage du maïs : humidification des grains, germination au soleil, mouture du maïs germé. Matilda Coxe Stevenson en a détaillé les principales étapes :
« Le Ta'kuna kiu'we ("eau perles") est fabriqué à partir de maïs éclaté (Ta'kunawe) moulu aussi finement que possible. La poudre est mise dans un bol et de l'eau froide est versée dessus. Le mélange est filtré avant d'être bu. Bien que cette boisson puisse être bue à tout moment, elle est surtout utilisée par les prêtres de la pluie et les personnificateurs des dieux anthropiques lors des cérémonies. Une boisson indigène qui, selon les Zuñi, n'est pas enivrante, est faite à partir de maïs germé. Le grain humidifié est exposé au soleil jusqu'à ce qu'il germe ; on verse ensuite de l'eau dessus et on le laisse reposer pendant quelques jours. »[14]
Cette ethnologue a donné des descriptions précises de la technologie brassicole des Zuňi. Son inventaire des plantes amylacées utilisées va bien au-delà du maïs, du blé (introduit par les Espagnols) et des haricots. Les Zuňi utilisent aussi les racines d’Euphorbia serpyllifolia pour préparer une pâte saccharifiante de la manière suivante :
« La racine, qui est généralement ramassée par les hommes et portée aux membres féminins de la famille, à qui elle appartient, est réduite en morceaux et conservée dans des sacs. Après que la bouche a été soigneusement nettoyée, un petit morceau de la racine est placé à l'intérieur par chacune des femmes qui doivent faire l'édulcorant pour le repas de maïs he'palokia. La racine reste dans la bouche deux jours, sauf lorsqu'elle est retirée pour permettre à la femme de se rafraîchir et de dormir. Chaque fois, la bouche est nettoyée à l'eau froide avant que la racine n'y soit replacée. La racine est finalement retirée lorsque le processus d'édulcoration de la farine de maïs est entamé.” Les morceaux insalivés de racines sont capables de convertir l’amidon en sucres fermentescibles grâce à la ptyaline, l’enzyme salivaire. La même technique est utilisée avec de la farine de maïs :
« On utilise du maïs jaune ou noir, selon les goûts. Le maïs est fraîchement et finement moulu. Avec ses doigts, la femme met dans sa bouche la quantité de farine qu'elle peut contenir. La farine n'est pas mâchée, mais retenue dans la bouche jusqu'à ce que l'accumulation de salive l'oblige à éjecter la masse, qui est déposée dans un petit bol. Ce processus se poursuit jusqu'à ce que la quantité désirée de chi'kwawe (pl.), "édulcorant", ait été préparée pour le he'palokia. Dans une large mesure, le blé germé a remplacé la farine de maïs pour sucrer le he'palokia, mais à cette fin, le blé n'est jamais mis dans la bouche.” (Coxe Stevenson, 68). La technique de brassage par insalivation peut donc être remplacée par le maltage des grains de blé. C’est la première étape. Ensuite les boulettes insalivées ou bien le malt de maïs sont mélangés avec de la farine de maïs crue pour brasser de la bière :
« Le blé germé est utilisé pour la fabrication de la he'palokia, qui consiste en une petite quantité de blé moulu et mélangé à une pâte faite de farine de blé. Des fragments de he'palokia séché, broyés aussi finement que possible dans un moulin et mélangés à de l'eau, constituent une boisson appréciée des Zuñi.” (Coxe Stevenson, 71). Ce breuvage, c’est la bière de maïs que les Zuňi appellent ta kuna kiuwe (“eau-perle”). La même préparation de base (farine de maïs ou de blé + boulettes insalivées ou malt de maïs) sert à cuire des pains levés (mu´loows) ou à laisser fermenter cette pâte saccharifiée avec de l’eau pour obtenir de la bière. Les levures sont apportées par les récipients de terre cuite. Les femmes Zuňi sont des potières expertes.
Ces trois méthodes de brassage, l’insalivation sans doute plus ancienne, le ferment amylolytique (he’palokia) et le maltage, sont un condensé historique des évolutions techniques expérimentées par les Zuňi au fil des siècles. Elles racontent aussi l’ancienneté du brassage de la bière parmi les Zuňi capables d’exploiter toutes les ressources végétales de leur environnement, y compris le blé introduit par les Espagnols vers le 17ème siècle.
La bière de caroubier des indiens Yumas, Pimas, Maricopas, Tumas et Apaches.
Les bières de caroubier sont les boissons fermentées traditionnelles des Amérindiens de Californie (Yuma, Pimas, Maricopas, Tumas, Apaches). Elles sont déjà attestées par les expéditions espagnoles du 16ème siècle.
L’expédition espagnole menée par Pánfilo de Narváez entre 1527 et 1528 pour coloniser la Floride subit un échec dramatique. Seuls 4 survivants rejoignent le Mexique en 1536 après avoir traversé la région habitée par les anciens Pueblos. L'un d'eux, Álvar Núñez Cabeza de Vaca, décrit leur manière de préparer les graines de caroubes pour faire de la farine à délayer dans l'eau, avec la fermentation éventuelle d’une boisson :
« Ils nous donnèrent beaucoup de farine de mesquiquez ; c’est un fruit qui ressemble aux caroubes, lorsqu’il est sur l’arbre. Il est fort amer : on le mange mêlé avec de la terre, alors il est doux et fort bon. Voilà comme les Indiens s’y prennent pour le rendre mangeable : ils font dans la terre un trou de la profondeur qu’ils jugent convenable, ensuite ils y mettent ces fruits, et avec un pieu gros comme la jambe et long d’une brasse et demie, ils les pilent jusqu’à ce qu’ils soient réduits en pâte. Lorsque cette pâte est mêlée avec la terre du trou, ils la retirent, mettent d’autres fruits et recommencent à piler. Ils recueillent ensuite le tout dans un vase semblable à un cabas, et ils y versent assez d’eau pour couvrir entièrement la pâte. Celui qui l’a pilée la goûte, et, s’il ne la trouve pas assez douce, il recommence le travail jusqu’à ce qu’il n’y ait plus d’amertume. Chacun s’asseoit alors autour du vase, et en prend ce qu’il peut avec les mains. Ils font sécher les pépins et les écorces sur des peaux. Celui qui a été chargé de piler la pâte les fait cuire, les remet dans le vase, les recouvre d’eau comme il a fait d’abord, il en extrait le suc et l’eau qui en sortent ; puis il place de nouveau les pépins et les écorces sur les peaux, et recommence ce travail trois ou quatre fois. Les invités à ce festin, qui pour eux est un grand régal, se gorgent de cette terre et de cette eau. Les Indiens nous promettaient ce repas [areitos[15]] avec toutes sortes d’éloges. »[16]
Il est difficile d’identifier le brassage d’une bière de caroubes à partir de cette description. C’est pourtant le cas. Cette technique de brassage est attestée au 19ème siècle parmi les Amérindiens qui vivent le long du Colorado et du cours supérieur du rio Grande. Existe-t-elle déjà au 16ème siècle ? Sans doute. Les Anciens Pueblos et Hopi sont sédentaires, agriculteurs et habitent cette région semi-désertique depuis le début du 1er millénaire. Ils brassent de la bière de maïs, boisson fermentée valorisée par leurs rituels. Les gousses de caroube sont à la fois un aliment quotidien et un substitut du maïs dans les périodes de disette ou de soudure entre deux récoltes annuelles de maïs. En faire de la bière résulte des fortes contraintes agricoles qui pèsent sur les sociétés Pueblo et Hopi.
“Le Mezquite (Prosopis Juliflora DC.) ou haricot tordu, "tornillo" (Prosopis pubescens Benth) sont de loin les arbres ou arbustes les plus communs des immenses étendues désertiques drainées par le Rio Grande, le Gila et le Colorado inférieur, car il est le plus utile à leurs habitants, fournissant à la fois nourriture et combustible. Le fruit est une gousse semblable à un haricot et contenant plus de la moitié de son poids en principes nutritifs, en particulier du sucre dans une proportion de 25 à 30 pour cent [et surtout de l'amidon] ; lorsqu'il est cuit, pilé, mélangé à de l'eau et filtré, il donne une boisson très nutritive et agréable appelée "atole" ; celle-ci subit facilement une fermentation qui produit une sorte de bière, autrefois très utilisée par les Indiens des fleuves Colorado et Gila. »[17]
En 1849, la ruée vers l’or de Californie met en contact les colons américains et les Amérindiens survivants des massacres commis par les trappeurs et l’armée. L’une des pistes pour rejoindre la Californie passe par le confluent des rivières Colorado et Gila, en plein territoire des Yuma. Ces derniers cultivent le maïs et cueillent les gousses de caroubier qui abondent dans les zones semi-désertiques du Grand Bassin et de Haute Californie. Les graines de caroube servent à brasser de la bière :
“Les aborigènes de la jonction des rivières Gila et Colorado ainsi que ceux de l'île Tiburon ont une coutume curieuse en rapport avec la liqueur de mesquite. Des cosses de mesquite étaient trempées dans l'eau et laissées à fermenter. Les indigènes les mâchaient, avalaient la liqueur absorbée, puis les recrachaient dans le liquide fermenté. Ces gousses étaient mâchées encore et encore, et par différentes personnes, souvent jusqu'à 20 ou 30 fois. »[18]
La tribu Yuma, également connue comme les Quechan, vivait dans les États de Californie et d'Arizona, le long du fleuve Colorado. En 1890, le Dr W.C. Farabee, agent spécial auprès des Indiens, a rapporté qu’« une boisson très acceptable, appelée pissioina, était préparée par les Yuma en faisant griller des grains de blé sur un feu de charbon de bois jusqu'à ce qu'ils prennent une couleur brun clair, après quoi ils étaient pulvérisés, dissous dans de l'eau et laissés à fermenter avant de boire. »[19]. Le blé n’étant pas une céréale amérindienne, on a conclu que cette bière pissioina était une imitation des bières des colons européens et non une bière autochtone authentique. En 1890, les Yuma réduits à environ 1000 individus sont enfermés dans des réserves, privés de terrains agricoles et nourris avec des rations bi-hebdomadaires de l’armée US, notamment du blé. Sans possibilité de cultiver le maïs ou de cueillir les gousses de caroubier, les Yuma les ont remplacés par le blé pour brasser leur bière.
Les bières de graines de caroube semblent avoir été brassées sur une aire plus vaste allant du Texas au Nouveau-Mexique :
« Les cosses contiennent une matière nutritive pulpeuse et sucrée ; les cosses entières sont moulues et transformées en pain et en gâteaux, ou en bouillie et en porridge ; utilisées également pour la fabrication de boissons sucrées (atole) ou fermentées en bière ; Texas, Nouveau-Mexique et Arizona. »[20].
Le journal de voyage de Francisco Garcés, missionnaire franciscain qui a voyagé entre 1770 et 1776 en Arizona et Californie, évoque les atoles de semillas des Amérindiens de la région, moitié boisson moitié bouillie : « car c'est une profusion de pastèques, de melons, de pains de maïs, d'atoles de semillas et de poissons qu'ils m'ont présentés. »[21]
Les bières de manioc et de patate douce des Indiens du Sud-est.
Des Huguenots tentent de coloniser la Floride entre 1562 et 1565 et y vivent à côté des Amérindiens Timucuas, Potanos, Saturiwas et Tacatacuru. L’alimentation repose sur la culture du maïs, des tubercules, la pêche et la chasse. Aucune mention de boissons fermentées. Laudonnière parle incidemment du manioc et de la patate douce, produits échangés sur les côtes de Floride avec les îles des Caraïbes comme Cuba ou les Bahamas. Racines de manioc :
« … la barque ayant pris la traicte de la coste [longeant la côte est de la Floride] … prit, près du lieu nommé Archala, un brigantin chargé de quelque nombre de cassana, qui est une espèce pain que se fait en racines, et néanmoins fort blanc et bon à manger, et quelque peu de vin. »[22]. Autre tubercule cultivé à l’intérieur des terres : manioc ou patate douce ? « il y avait une isle située dans une grand lac d’eau douce appelé Serropé, grand environ de cinq lieues, fertille en plusieurs sortes de fruicts, principallement en dattes, qui proviennent de palmes, dont ils font une merveilleuse traficque, toutefois non ni grande que d’une sorte de racine, de laquellle ils tirent une farine si propre à faire du pain, que n’est possible d’en manger de meilleur, a qu’à quinze lieues à l’entour tout le pays en est nourry, qui est cause que les habitans de l’isle attirent de leurs voisins une grande richesse ; car on n’a de cette racine qu’à bonnes enseignes, avec qu’ils sont tenus pour les plus belliqueux hommes de la terre. » (Laudonnière 1564, 133)
A cette même époque, les peuples Caribes utilisent ces tubercules pour brasser des bières. Ils brassent notamment une bière de patate douce nommée mabi (ou mapi). Il est surprenant que les Amérindiens de Floride n’aient pas adopté cette technique, à notre connaissance.
Dès les premiers contacts, les colons anglais font connaissance avec les trois principales plantes amylacées des Amérindiens : le maïs, la patate douce et le manioc. Les Amérindiens en font des galettes que les colons associent à du pain et des soupes épaisses qui pouvaient fermenter. Mais là encore, la frontière entre bière liquide et soupe fermentée n’est pas familière aux colons. Thomas Harriot, polymathe anglais, débarque en 1587 sur les côtes de Virginie avec 110 colons. Cet observateur averti décrit l’utilisation des 3 principales plantes amylacées nord-américaines : le maïs, la patate douce et le manioc.
Le maïs : « Pagatowr, une sorte de graine appelée ainsi par les habitants ; aux Antilles, elle est appelée Mayze : les Anglais l'appellent Blé de Guinée ou Blé de Turquie, selon les noms des pays d'où elle a été apportée. La graine est à peu près de la taille de notre pois ordinaire anglais, et n'est pas très différente de forme et d'allure, mais elle est de différentes couleurs : certaines blanches, d'autres rouges, d'autres jaunes, et d'autres bleues. Tous donnent un liquide très blanc et très doux : utilisé selon son espèce, il fait un très bon pain. Nous en avons fait du malt dans le pays, dont on a brassé de l'ale aussi bonne que l'on pouvait désirer. De même, avec l'aide du houblon, on peut aussi en faire une bonne bière. »[23]
Pas de bière de maïs brassée par les Indiens selon Thomas Harriot, du moins sous l’apparence d’une boisson, d’un liquide fermenté. La situation est la même avec la patate douce : « Tsinaw, une sorte de racine très semblable à celle que l'on appelle en Angleterre racine de Chine [taro vs ginseng], apportée des Indes orientales. Nous n’en savons rien de contraire, mais nous pensons qu'elle est de la même espèce. Ces racines poussent beaucoup ensemble en grandes grappes et donnent naissance à une tige d'abricot, mais la feuille a une forme très différente ; qui, étant soutenue par les arbres sur lesquels elle pousse le plus, atteindra ou grimpera jusqu'au sommet du plus haut. De ces racines, tant qu'elles sont nouvelles ou fraîches, hachées en petits morceaux et écrasées, est filtrée avec de l'eau un jus qui fait du pain, et aussi, une fois bouillie, un très bon brouet à la manière d'une gelée, et son goût est bien meilleur si elle est tempérée avec de l'huile. Cette Tsinaw n'est pas de la sorte que certains ont introduit en Angleterre comme la racine de Chine, car elle a été découverte depuis, et elle est utilisée comme il est dit ci-dessus ; mais celle qui a été introduite ici n'est pas encore connue, ni par nous ni par les habitants, pour servir à quelque chose ; bien que les racines soient très semblables dans leur forme. »
La situation est un peu plus claire avec le manioc. La confection de galettes aigries avec de la farine de manioc autorise de possibles fermentations alcoolique et lactique une fois ces mêmes galettes trempées dans l’eau : « Coscúshaw, quelques-uns de nos compagnons l'ont pris pour être cette sorte de racine que les Espagnols des Antilles appellent Cassavy [manioc], et c'est ainsi que beaucoup l'ont appelée : elle pousse dans les mares très boueuses et les terrains humides. Préparée à la manière du pays, elle fait un bon pain, et aussi un bon brouet, et est très appréciée des habitants. Le jus de cette racine est un poison, et c'est pourquoi il faut prendre garde avant d'en faire quoi que ce soit : ou bien les racines doivent être d'abord coupées en tranches et séchées au soleil, ou au feu, et puis étant pilées en farine, elles feront du bon pain. Ou bien, tandis qu'elles sont vertes, elles doivent être épluchées, coupées en morceaux et écrasées ; les galettes de ces mêmes racines placées près ou au-dessus du feu jusqu'à ce qu'elles deviennent aigrelettes, et alors, étant bien pilées à nouveau, on peut en faire du pain ou du brouet de très bon goût et de très bonne qualité. »[24]
4 - La bière amérindienne est-elle brassée partout en Amérique du Nord ?
La mazamorra de maïs des Appalaches en 1639.
Hernando de Soto conduit en 1539 une nouvelle expédition de conquête de la Floride. Il rencontre dans les Appalaches des sociétés amérindiennes développées dotées d’une hiérarchie politique. Les caciques reçoivent des autres tribus amérindiennes soumises des quotas de maïs, de peaux et de cotonnades. L’immense colonne espagnole traverse des paysages couverts de champs de maïs et hiverne en 1539-40 chez les indiens Apalachee dans la cité fortifiée d’Anhaica qui compte 250 bâtiments. Sa population est estimée à 30.000 habitants, celle de sa province à 60.000 environ. Les Amérindiens servent aux Espagnols une bouillie de farine de maïs adoucie avec du sucre ou du miel que les Espagnols nomment mazamorra. C’est une parfaite base pour obtenir une boisson épaisse fermentée. Les auteurs Espagnols habitués à séparer nourriture solide et boisson liquide ne qualifient pas cette mazamorra de boisson : « Ces derniers jours, depuis qu'ils sont partis de Tali, le cacique de Tali a fait apporter [par les Indiens] de leurs villes le long de la route, du maïs, des mazamorras, des haricots cuits et tout ce qu'il pouvait »[25]. Ces mêmes Espagnols nomment mazamorra une bouillie mais aussi une bière brassée par les Nicarao et les Chorotega du Nicaragua avec du maïs moulu et du miel. Le terme mazamorra est donné par Oviedo y Valdés en 1526 avec cette double signification[26]. Le récit de Rodrigo Rangel a été co-écrit avec Oviedo y Valdés qui l’a intégré dans sa Historia general y natural de las Indias (L. XVII, cap. 21-28). Le mazamorra des Appalaches pourrait s’apparenter au sofkee (ou osafke) des Muskogee et des Cherokee du 18ème siècle, une boisson acidulée de maïs éventuellement fermentée.
La bière des Hurons au 17ème siècle.
Les Hurons brassent une sorte de pain-bière de maïs qui est rarement décrite comme une bière mais plutôt comme un pain fermenté. Les Hurons-Wendats habitent aux 16-17ème siècles les bords du lac Ontario. Gabriel Sagard séjourne parmi eux en 1623-24 et décrit l’une des trois manières de préparer le maïs :
« Ils font encore du pain d’une autre sorte, c’est qu’ils cueillent une quantité d’épis de blé [maïs], avant qu’il soit du tout sec & mûr, puis les femmes, filles & enfants avec les dents en détachent les grains, qu’ils rejettent par après avec la bouche dans de grandes écuelles qu’elles tiennent auprès d’elles, & puis on l’achève de piler dans le grand Mortier : & pour ce que cette pâte est fort molasse, il faut nécessairement l’envelopper dans des feuilles pour la faire cuire sous les cendres à l’accoutumée; ce pain mâché est le plus estimé entre eux, mais pour moi je n’en mangeais que par nécessité & à contre-cœur, à cause que le blé avait été ainsi à demi mâché, pilé et pétri avec les dents des femmes, filles & petits enfants. »[27].
Mâcher les grains de maïs encore mous est une façon ancienne de saccharifier l’amidon avec la salive. En faire des boules enveloppées de feuilles de maïs accélère les fermentations alcoolique et acétique. La cuisson superficielle sous la cendre devait laisser le cœur de ces boules de maïs encore humide et fermenté. Peut-on parler de bière ? Non, parce que ces boules à demi-cuites de maïs sont consommées comme du pain et non comme une boisson. Oui, parce que le procédé technique est similaire à celui des pains-bières dans l’antiquité européenne, asiatique ou africaine. Par ailleurs, le même Sagard vante l’abstinence des Hurons (op. cit. 144-146). Mais nous savons qu’elle est toute relative. C’est la vision d’un missionnaire. Les Hurons boivent les alcools distillés des trappeurs français ou anglais. Sagard décrit également la préparation du maïs puant ou indohy :
« Pour le indohy ou bled puant, ce sont grande quantité d’épis de blé, non encore du tout sec et mûr, pour être plus susceptible à prendre odeur, que les femmes mettent en quelque mare ou eau puante, par l’espace de deux ou trois mois, au bout desquels elles les retirent, & cela sert à faire des festins de grande importance, cuit comme la Neintahouy, & aussi en mangent de grillé sous les cendres chaudes, léchant leurs doigts au maniement de ces épis puants, de même que si c’étaient cannes de sucre, quoique le goût et l’odeur en soit très-puantes, & infectes plus que ne le sont les égouts mêmes, et ce blé ainsi pourri n’était point ma viande, quelque estime qu’ils en fissent, ni ne le maniais pas volontiers des doigts ni de la main, pour la mauvaise odeur qu’il y imprimait et laissait pour plusieurs jours. » (Sagard 1632, 140-141).
Sagard décrit une fermentation des épis entiers de maïs poussée à l’extrême, puis une cuisson qui ôte toute trace d’alcool et une consommation sous la forme de bouillie (Neintahouy). Ce maïs fermenté n’est pas consommé comme une boisson. Reste que la fermentation des grains, leur décomposition est connue et appréciée des Hurons. La frontière est mince entre le fermenté alcoolique et le pourri[28].
Les bières amérindiennes auraient existé jusqu’à une limite septentrionale difficile à tracer, pouvant aller du Connecticut jusqu’au Dakota, bordant les grandes forêts du plateau canadien et les Grands Lacs. La réalité historique de cette frontière est problématique. Le cas des Hurons est emblématique. Ils vivent au 17ème siècle à l’ouest du lac Ontario et préparent des épis de maïs fermentés qui ne ressemblent en rien à l’image que les Européens se font d’une bière et qu’ils ne décrivent pas comme telle. Cette « bière puante » des Hurons résume toute la difficulté du dossier Nord-américain : des données très fragmentaires, des difficultés d’interprétation et aucune dimension historique.
La bière de maïs des Muskogee et des Cherokee au 18ème.
Quelques témoignages tardifs de la fin 18ème siècle présentent la sagamité des Muskogee (Creek) comme une boisson fermentée de maïs. Jean-Antoine Leclerc de Milfort rejoint en 1776 la puissante confédération Creek en guerre larvée avec les colons américains de la côte Est et les Espagnols de Floride qui accaparent ses territoires à l'est du Mississippi (actuel Alabama). Il adopte ses coutumes et sa langue, et raconte comment les Creek reçoivent leurs hôtes :
« Ils nous reçurent [les Osages] avec des marques d’une grande satisfaction, et nous firent donner, aussitôt notre arrivée, des viandes cuites et de la sagamité (1). Mes gens qui n'avoient pas bu de sagamité depuis près d’un an, furent très satisfaits de cette réception, à laquelle ils firent grand honneur par la quantité de cette liqueur qu’ils consommèrent. » La note (1) rédigée par Milfort précise « La sagamité est une espèce de boisson faite avec la farine de maïs. »
Plus loin, Milfort précise « Il était environ midi, et je vis servir aux chefs des viandes rôties, du pain, et de la sagamité, boisson dont ils font grand usage (1) » La note (1) dit « La sagamité est une fermentation faite avec la farine de maïs, qui, après avoir été bouillie, conserve un goût de cidre assez agréable. »[29] (Milfort 1802, 212). La nature fermentée et alcoolique du sagamité des Creeks, au goût de cidre, ne fait pas de doute.
Les Anglais qui fréquentent la région à la même époque connaissent cette bière sous le nom de thin beverage, les Creeks la nomme oafka.
« La nourriture commune des Creek est le maïs indien, pilé et bouilli, avec lequel ils mélangent une petite quantité de lie solide de cendres de bois de caryer [noyer blanc]. Il est bouilli jusqu'à ce que le maïs soit tendre, et la liqueur devient aussi épaisse qu'une soupe riche. La lie lui donne un goût acidulé et l'empêche de s'aigrir sous l'effet de la chaleur du climat. De jour en jour, ils la conservent dans de grands pots ou des casseroles, avec une cuillère dedans, prête à être utilisée. Les Indiens l'appellent Oafka, et les Blancs Thin-drink. Ceux qui y sont habitués depuis longtemps en sont très friands. Les Indiens, qui ne mangent pas beaucoup d'autres aliments, s'y rendent et en prennent environ une fois par heure toute la journée. »[30]
Une autre mention de cette bière légère et acidulée de maïs est fournie par William Bartram qui a parcouru les territoires Creek, Cherokee et Séminole en 1773 : « La pipe étant remplie, on la fait circuler, après quoi un grand bol contenant ce qu'ils appellent "Thin drink" est apporté et posé sur une petite table basse ; dans ce bol se trouve une grande louche en bois ; chacun y prend la quantité qu'il veut et, après avoir bu jusqu'à s'en rassasier, la remet dans le bol en poussant le manche vers la personne du cercle, et ainsi de suite. »[31]
Les Creek (Muskogee) de Géorgie et les Cherokee des Carolines utilisent des baies et des fruits pour faire des boissons alcooliques (Cherrington 1925, 4, sans citation de sources). Ils ont aussi appris à laisser fermenter spontanément des bouillies de maïs. Quant aux Cherokees, les témoignages sont rarissimes. Bourke, un lieutenant de cavalerie ayant combattu les Apaches et familier des modes de vie des Amérindiens du Sud, note : « Le tizwin diffère quelque peu de la boisson aigre fabriquée par les Cherokees à partir de gruau de maïs et considérée par eux comme très savoureuse et rafraîchissante par temps étouffant. »[32]
Pourquoi les témoignages sont-ils si rares et tardifs ? Le sagamité est presque toujours décrit par les documents européens comme un aliment et non une boisson. Les Européens du 17ème siècle ont perdu la mémoire des soupes fermentées primitives à une époque où en Europe les soupes et les boissons alcooliques sont rangés dans deux domaines bien séparés de l’alimentation. A titre d’exemple, Antonio de Espejo écrit en 1582 que les Pueblos ne boivent qu’une boisson non fermentée nommée pinole faite de grains de maïs séchés et d’eau, une bévue manifeste. Le maltage du maïs opéré par les femmes et les cérémonies secrètes de boisson de bière se déroulant à l’intérieur des kivas lui ont échappé (Waddell 1980, 21-22). Les premiers colons français et espagnols du Mississippi et de Floride ont sans doute commis les mêmes erreurs.
La bière de maïs des Apaches au 19ème siècle.
Le grand groupe des Apaches comprend les Jicarillas, les Lipans, les Kiowas, les Mescaleros, les Chiricahua et les Apaches de l'Ouest. Les Chiricahua et les Apaches de l'Ouest préparent une sorte de bière de maïs appelée tula-pah , tulapai, tulpi , tulipi (eau jaune) ou tiswin en utilisant des grains de maïs germés, séchés et moulus, aromatisés avec des racines de locoweed ou de lignum vitae, placés dans de l'eau et laissés à fermenter. Le tula-pah et le tiswin sont distincts, avec un processus très élaboré. Ce type de bière est l’un des rares, avec la bière de maïs des Zuňi, dont nous ayons des descriptions techniques, tardives mais précieuses.
« L'intoxicant et la malédiction de leur vie est le túlapai, ou tizwin comme on l'appelle parfois. Túlapai signifie "eau boueuse ou grise". Il s'agit, en fait, d'une bière de levure. Pour la préparer, on fait d'abord tremper du maïs dans l'eau. Si c'est l'hiver, le maïs mouillé est placé sous une couverture jusqu'à ce que la chaleur du corps le fasse germer ; si c'est l'été, il est déposé dans un trou peu profond, recouvert d'une couverture mouillée et laissé jusqu'à ce que les germes apparaissent, après quoi il est réduit en pulpe sur un metate. On ajoute de l'eau et des racines, puis on fait bouillir le mélange et on le filtre pour éliminer les racines et les germes les plus grossiers. À ce stade, le liquide a la consistance d'un léger potage crémeux. Il est alors mis de côté pendant vingt-quatre heures pour refroidir et fermenter, puis il est prêt à être bu. Comme le túlapai se gâte en douze heures, il doit être bu rapidement. Utilisé avec modération, ce n'est pas une mauvaise boisson, mais en aucun cas une boisson agréable pour le palais civilisé. L'Apache, cependant, ne connaît aucune modération dans sa consommation de túlapai. Il lui arrive de jeûner pendant un jour et d'en boire de grandes quantités, souvent un gallon ou deux, devenant alors pour un temps un véritable sauvage. »[33]
Une autre méthode de maltage du maïs pour brasser la bière tulipi donnée par Hrdlička en 1904 :
« Le tulipi a été introduit parmi les Apaches de la rivière Blanche, dans la mémoire des hommes d'âge mûr, par un vieil homme de la tribu, encore vivant en 1900, appelé "Brigham Young". Il a été apporté par les Chiricahuas du sud, qui auraient appris à le fabriquer au Mexique. Pour le fabriquer, une femme prend du maïs sec et le fait tremper dans l'eau pendant une nuit ; le matin, on fait un trou dans le sol, dont le fond est recouvert de feuilles de yucca, sur lequel le maïs est étalé et recouvert d'un sac de jute. On arrose ensuite le maïs une fois par jour avec de l'eau chaude, jusqu'à ce qu'il commence à germer, puis on le laisse pousser sous le sac jusqu'à ce que les germes aient environ deux pouces de hauteur, ce qui dure une semaine, plus ou moins, selon le temps. Le maïs est ensuite sorti et étalé sur une couverture, où il est laissé une journée pour sécher partiellement. Le jour suivant, deux femmes broient le maïs, l'une grossièrement et l'autre finement, puis le mélangent et le pétrissent comme une pâte. À environ dix livres de pâte, on ajoute, dans un grand récipient en terre, environ quatre gallons d'eau. Le tout est bien remué, placé sur le feu et réduit à la moitié de la quantité initiale. Pendant cette ébullition, on ajoute le "remède tulipi" (pour rendre la liqueur autrement faible intoxicante et excitante), composé de certaines racines dont j'ai pu constater par la suite qu'elles étaient celles de l'herbe loco, ou herbe de jimson (Datura metaloides).
Après la première ébullition, on ajoute assez d'eau pour compenser la perte, et on fait bouillir le mélange une deuxième fois, jusqu'à ce qu'il soit réduit encore de moitié. Le liquide est alors filtré à travers une boîte de conserve aux nombreuses perforations, refroidi jusqu'à ce qu'il soit tiède, et versé dans la cruche à tulipi, un récipient utilisé uniquement pour le tulipi et jamais lavé. Enfin, du blé grossièrement moulu est ajouté qu'on laisse flotter à la surface, peu après quoi la fermentation débute.
Il est préférable de mettre le liquide dans la jarre à tulipi et d'ajouter le blé le soir, car le mélange est alors bien fermenté le matin et prêt à être bu à midi ; mais comme il augmente alors rapidement en force et en acidité, il faut l'utiliser le premier jour après le début de la fermentation pour éviter qu'il ne se gâte. Si l'on veut avoir un bon tulipi, il faut bien respecter tous ces points. »[34]
En résumé, une méthode de maltage du maïs bien maîtrisée. Un brassage qui se fait été comme hiver. La totalité des opérations durent 8 à 10 jours. La bière est de faible densité et nutritive. Les variantes sont introduites par les plantes locoweed du genre Astragalus and Oxytropis, jimson weed Datura stramonium. Cette bière touche alors la frontière entre boisson alcoolique et potion psychotrope.
« En plus des effets agréables, les Apaches défenseurs du túlapai protestaient vigoureusement de sa valeur nutritionnelle et médicinale. "C'est du maïs et ça nourrit votre corps" disait l'un d'eux. Il avait également des propriétés diurétiques et était un puissant laxatif. »[35]
Le blé a été introduit par les Espagnols au 16ème siècle[36]. Au 19ème siècle, faute de maïs, les Apaches et leurs voisins étaient capables de malter le blé. Après la réclusion des Apaches dans des réserves en 1872, leur dépendance et leur fragilité économique grandissent : les rations de blé fournies par l’armée U.S. remplacent le maïs, sauf pour brasser de la bière. Quant à la levure chimique, c’est un produit introduit dans les réserves indiennes par l’industrie agro-alimentaire américaine de cette époque[37] :
« Les Apaches de San Carlos [une réserve], une des tribus dont l'alimentation a fait l'objet d'une attention particulière, dépendent surtout de la viande et du blé. Avec la farine de blé et la levure chimique, ils fabriquent de grandes tortillas fines, de 10 à 12 pouces de diamètre, telles qu'on les trouve à Sonora. Ils les font griller quelques instants sur une plaque chauffée au feu de bois et les mangent chaudes. Un autre pain d'un usage courant avant l'apparition du blé, est fabriqué en mélangeant farine de maïs et eau et en cuisant la pâte. Ces Apaches plantent peu de maïs et il sert en grande partie à préparer du tesvino. » (Farabee 1908, 22).
Les conflits intertribaux se multiplient suite à la décision d’enfermer tous les Apaches, quelle que soit leur tribu, dans la même réserve de San Carlos. « Dans la prairie, un peu en dehors d’Apache Pass, il y avait un homme qui tenait un magasin et un bar. Quelque temps après le départ du général Howard [en 1875], une bande d’Indiens hors-la-loi tua cet homme et s’empara de la plupart des marchandises de son magasin. Le lendemain, des Indiens de la réserve s’enivrèrent avec du tiswin qu’ils avaient fabriqué avec du maïs. Ils se battirent entre eux et il y eut quatre morts. »[38]
Entre 1905 et 1906, S. M. Barrett recueille les paroles de Go Khla Yeh, chef Apache Chiricahua et l’un des derniers résistants de la conquête de l’Ouest. Celui que les Mexicains ont surnommé par dérision Geronimo (Jeronimo), laisse son propre témoignage sur le brassage de la bière-tiswin :
« Le maïs moulu (à la main avec des mortiers et des pilons de pierre) ne nous servait pas seulement à faire du pain. Nous l’écrasions aussi et le faisions tremper puis, après fermentation, nous en faisions du « tis-win » qui avait le pouvoir d’enivrer et était hautement prisé par les Indiens. Ce travail était fait par les squaws et les enfants. » (Mémoires 1993, 58). Geronimo ne mentionne pas la germination des grains de maïs. La technique du maltage était maîtrisée par les femmes Apaches.
La maîtrise technique des femmes Apaches, ce sont elles qui brassent la bière, est impressionnante. Elles contrôlent un processus qui occupe plus d’une semaine, maltage compris. Elles savent utiliser une grande panoplie de plantes. Elles brassent diverses sortes de bière dont les détails techniques sont perdus. La technologie des femmes Apaches dément les idées préconçues des historiens de la brasserie qui présentent les bières amérindiennes comme des infusions primitives à peine buvables.
La liste des plantes ajoutées à la bière de maïs est longue, chacune associée à son effet attendu des buveurs :
« Les boissons alcoolisées propres aux Indiens du sud-ouest et du nord du Mexique sont principalement produites par la fermentation du maïs, du mescal et du maguey. La liqueur de maïs est généralement connue sous le nom de tesvino (également appelé tesvin, tizwin ou tulipi). Il s'agit généralement (si la fermentation n'est pas poussée à l'extrême, et en l'absence d'excitants végétaux, de narcotiques ou d'autres liqueurs) d'une boisson alcoolisée faible ayant une légère valeur nutritive, et qui n'est pas une substance intoxicante forte... La connaissance et l'utilisation du tesvino et du mescal s'étendent à l'Arizona, le pulque et les liqueurs de maguey n'étant fabriqués que dans la partie la plus au sud de la région considérée. En plus de ce qui précède, certains Indiens préparent occasionnellement des liqueurs fermentées à partir de pitahaya, de graines de mesquite (Mexique), de raisins indigènes, d'autres fruits ou de miel …
Les Apaches White Mountain, San Carlos, Chiricahua et Mescalero fabriquent du tulipi ou tesvino, auquel on ajoute généralement comme "médicament", pour augmenter les effets de la boisson, de petites quantités de plusieurs racines de plantes indigènes …
L'auteur s'est efforcé de recenser les "médicaments" ajoutés par les Apaches de San Carlos au tesvino et les raisons de leur utilisation. Le nombre s'est avéré important au-delà de toute attente, mais les résultats de l'enquête sur les raisons de l'utilisation de chaque substance particulière ont été plutôt décevants ; le but ouvertement avoué de la majorité était de "rendre plus ivre". Les différents produits et les motifs de leur utilisation sont les suivants :
I-zē-lu-ku-hi ("crazy medicine" : Lotus wrightii) ; la partie utilisée est la racine ; ils disent, cela "nous rend plus ivre".
Chil-ga-le ("make noise" : Cassia couesii) ; partie utilisée, la racine ; "rend le tulipi plus fort".
I-zel-chih, une plante qui n'a pas été identifiée, est également ajoutée occasionnellement au tulipi pour le rendre plus fort et plus enivrant.
I-ze-du-ghu-zhe ("medicine sticks") ; racine ajoutée occasionnellement au tulipi pour lui donner "un goût plus amer, plus fort".
Sas-chil-tla-hi-zē, sas-chil (Canotia holocantha) ; une plante dont la racine a un goût aromatique, qui est souvent ajoutée au tulipi "seulement pour lui donner un meilleur goût" ; la racine est mâchée à l’occasion "comme un bonbon". Les graines de la plante, après avoir été grillées, sont également utilisées dans le même but.
Ga-chuh-pi-tla-hi-ya-he (''under-it-the-jack-rabbit-makes-his-bed") ; racine occasionnellement ajoutée au tulipi "pour le rendre plus fort". Cela est vrai des racines de me-tci-da-il-tco (Perezia wrightii), et de thli-he-da-i-ga-si (''horse-eats-it"). En plus de ce qui précède, les Apaches de San Carlos ajoutent parfois au tulipi une partie de l'écorce intérieure du mesquite, ce qui "rend le goût de la boisson plus doux et meilleur, alors nous aimons en boire plus". » (Hrdlička 1908, 26-27)
John Bourke, capitaine de cavalerie US ayant participé aux nombreuses campagnes militaires contre les Apaches en 1872-83, précise deux caractéristiques de la bière de maïs des Apaches : elle est faiblement alcoolisée, elle est acidulée. « Les nouvelles recrues parmi les Apaches étaient sous le commandement d'un chef répondant au nom d'"Esquinosquizn/" signifiant "Bocon" ou Grande Gueule. Il était rusé, cruel, audacieux et ambitieux ; il s'adonnait chaque fois qu'il le pouvait à l'enivrant "Tizwin", fait de maïs fermenté et qui n'est rien d'autre qu'une bière aigre qui n'enivre pas à moins que le buveur ne se soumette, comme le fait l'Apache, à un jeûne préalable de deux à quatre jours. Cette habitude conduisit à sa mort à San Carlos quelques mois plus tard.” (Bourke 1891, 183). De plus, Bourke établit un lien avec le jeûne et les autres techniques (plantes psychotropes) qui modifient les états de conscience. Autrement dit, boire de la bière n’est pas le but recherché en soi pour un Apache ou un Cheyenne.
Les descriptions ethnologiques post-colonisation confirment que les boissons fermentées (bières, vins, hydromels) sont courantes dans le Sud-ouest ou le Sud-est, et semble-t-il beaucoup plus rares ailleurs. Elles permettent de reconstituer les principales méthodes de brassage amérindiennes :
METHODES DE BRASSAGE |
TYPES DE BIERES ou FERMENTS |
PEUPLES AMERINDIENS |
Insalivation d’une pâte crue (caroubier) ou cuite (maïs, tubercules), ou de racines amylacées crues. |
Bière de caroubier |
atole des Zuňi, Pueblos, Yuma, Pimas, Maricopas, Tumas, Apaches |
Bière de maïs |
Zuňi, Pueblos, Hopi |
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Bière de patate douce ou de manioc ? |
Anciens peuples de Floride (Timuacas, ...) ? |
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Bière de Sagittaria latifolia ? |
Canada, Mississippi |
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Bière de racines amylacées non identifiées |
Amérindiens Tlingit d'Alaska |
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Ferment amylolytique ou beer-starter |
he’palokia à base de racines d’Euphorbia serpyllifolia |
Zuňi |
Pâte cuite de haricots ? |
Sud-ouest |
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Maltage des grains crus |
Bières de maïs autochtones, ou de blé (+ tardives) |
tiswin ou túlapai des Apaches |
Brassage acidulé |
Maïs cru cuit plusieurs heures dans de l’eau additionnée de cendre (nixtamalisation). Mi- bouillon acidulé, mi-bière de maïs |
Oafka, sofkee, osafke des Creeks et Cherokees de l’époque moderne túlapai sans maltage des Apaches |
Grains crus de blé, grillés, moulus et fermentés dans l’eau |
pissioina des Yuma |
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Surmaturation |
Epis de maïs encore vert mûris dans l’eau stagnante |
indohy des Hurons |
5 - Des Amérindiens ont-ils appris à brasser au contact des Européens ?
La bière des Indiens Nehantucket au 18ème siècle.
L’île de Nantucket a servi de refuge aux Amérindiens Wampanoag, chassés de Cap Cod par la colonisation anglaise en 1620 et qu’ils désignaient sous le nom de Nehantucket. En 1641, les colons envahissent peu à peu l’île pour pêcher ou chasser la baleine. La cohabitation est plus ou moins pacifique. En 1792, Zacchaeus Macy témoigne que les Amérindiens de Nantucket ont adopté la bière des Européens qu’ils savent brasser : " Les indigènes de Nantucket... lors de leurs fêtes... avaient plusieurs sortes de bons aliments et de la très bonne bière forte."[39].
Deux siècles après l’arrivée des premiers colons, cette bière amérindienne des Nehantucket a sans doute une origine européenne. L’alimentation des Indiens de Nantucket avant le 16ème siècle, étudiée par E. Little, est basée d’abord sur les ressources marines animales et végétales. La part du maïs et des autres plantes amylacées est négligeable. La possibilité de brasser de la bière l’était également[40].
L’existence des bières amérindiennes précédant l’arrivée des colons anglais sur les côtes de Caroline à partir de 1584 n’est pas prouvée. Il est en revanche certain que les colons ont immédiatement brassé de la bière avec du maïs. Comme George Thorpe en 1620, ils ont rapidement appris à faire germer le maïs pour obtenir du malt et brasser une sorte de bière hybride amérindienne. Une bière à base de manioc ou de patate douce nécessite des méthodes de brassage différentes, soit en mâchant une pâte cuite, soit en permettant une fermentation acidulée, ces deux techniques produisant des bières assez éloignées des goûts européens de l'époque. Si elles ont été brassées lors des premières implantations européennes, elles n'ont pas généré une tradition brassicole durable ni laissé de traces écrites.
La bière des Natchez du Mississippi au 18ème siècle.
Antoine-Simon Le Page du Pratz demeure 16 ans sur le cours inférieur du Mississippi parmi les Indiens Natchez dont il apprend la langue, étudie la culture et épouse une Chitimacha. De retour en France en 1734, il publie son Mémoire sur la Louisiane (1751-1753). Il raconte que les colons français brassent de la bière de maïs et la distillent : « On tire de l'eau-de vie du Mahiz, & on fait avec ce grain une bierre forte & agréable ; tout le Pays & surtout les Côteaux fournissent du Houblon en abondance. ». Ils font de même avec la patate douce : « On les fait cuire comme des marons dans la braize, au four, ou dans l'eau ; mais la braize & le four leur donnent un meilleur goût. Elles se mangent sèches ou coupées par tranches dans du lait sans sucre, parce qu'elles le portent avec elles ; on en fait aussi de bonnes confitures. Quelques François en ont tiré de l'eau-de-vie. »[41]. Cette distillation implique la fermentation alcoolique d’une décoction de patate douce. Les bières de patate douce sont attestées dans la zone Caraïbes à cette époque et sont d’origine amérindienne. Les colons de Louisiane l’ont sans doute apprise des Amérindiens d’Amérique centrale ou des îles de Cuba ou de Jamaïque.
Le Page du Praz fait un constat important : les Natchez ne connaissent pas les techniques de la fermentation alcoolique et ne veulent pas les apprendre : « Tous ces Peuples [les Natchez et leurs voisins Chicachas] sont prudens & parlent peu ; ils sont sobres dans le manger ; mais ils aiment l'eau-de vie avec passion, quoique d'ailleurs ils ne boivent jamais de vin, & ne connoissent ou ne veulent apprendre à connoître aucune composition de liqueur, ils se contentent dans leurs repas de mahiz préparé en différentes manieres ; ils se nourrissent aussi de viande & de poisson. » (Tome 2, 409)
Les Amérindiens du Nord-est (Alaska) et le kvass des Russes.
De nombreuses tribus du Nord ont eu des contacts accrus avec la population blanche entre 1804 et 1806, lorsque Lewis et Clark et d'autres équipes de l'armée américaine ont exploré cette région. À cette époque, la plupart des tribus connaissaient les boissons alcoolisées (Weibel-Orlando, 1986). Rien ne prouve que l'alcool était produit dans cette région avant le contact avec les Blancs ou que l'une de leurs cérémonies comportait la consommation rituelle de boissons non alcoolisées comme c'est le cas dans les tribus du sud-est (Abbot 1996, 7-8). Dans le nord-ouest, les Kwakiutl de l'île de Vancouver produisaient une boisson légèrement alcoolisée à base de jus de sureau, de chitons noirs et de tabac[42].
Bien qu'ils n'aient que peu ou pas d'agriculture, les Aléoutes et les Yuit de l'île de Kodiak en Alaska préparaient des boissons alcoolisées avec des framboises fermentées. Les Aléoutes eurent leur premier contact avec des marins russes qui apportèrent avec eux et fabriquèrent plus tard le "kvass". Il s'agissait d'une boisson alcoolisée fabriquée à partir de céréales, de pommes ou de racines et censé prévenir le scorbut (Fortuine, 1989). Au début, l'alcool n'était un problème que pour les marins russes, mais il est devenu un problème sérieux pour les Aléoutes. Les indigènes de cette région ont également appris à préparer le kvass et avaient accès au whisky de contrebande (Abbot 1996, 9). L'autre récit donné par Davydov en 1807 concerne les Koniag, appelés Kolosh par les Russes, c’est-à-dire des Tinglit : « Cependant, les Koniagas s'enivraient avant que les Russes arrivent, avec du jus fermenté de framboise et de myrtille. »[43].
6 - La bière amérindienne comme boisson fermentée autonome ?
Ce stade a-t-il été atteint en Amérique du Nord ? Le complexe culturel du Moyen-Mississippi se développe entre 800 et 1600 au cœur des grandes plaines centrales d’Amérique du Nord. Il est entouré d’autres complexes culturels qui s’étendent entre le fleuve Arkansas (Culture Caddoan) et les Appalaches (South Appalachian Mississippian), entre le cours supérieur du Mississippi (Culture Oneota) et son delta (Plaquemine Mississippian), enfin dans le bassin de l’Ohio (Fort Ancient Culture).
Le niveau de complexité atteint par les Cultures du Mississippi il y a un millénaire est comparable à celui des cultures d’Amérique centrale ou andine contemporaines. Ces dernières maîtrisent les techniques de brassage. La bière y joue un rôle culturel central (cérémonies collectives, rites agraires, affirmation des hiérarchies sociales, etc.)[44]. On devrait s’attendre à trouver en Amérique du Nord une tradition brassicole aussi répandue à partir des 8ème-10ème siècles quand les variétés de maïs s’adaptent aux climats secs. Est-ce le cas sur les rives du Mississippi il y a un millénaire ?
Les Cultures du Mississippi entre les 10ème et 16ème siècle.
Les Cultures du Mississippi occupent une immense superficie et dessine un réseau commercial et culturel très dense à travers le sous-continent. Il y a environ 12 siècles, une agriculture amérindienne prospère le long du Mississippi et ses affluents. Elle repose sur le maïs, les courges, les haricots, le tournesol, l’amarante et autres chénopodes, avec dans le sud la patate douce et probablement le manioc. Entre 800 et 1600, ces techniques agricoles génèrent des surplus de grains, sources de croissance démographique, d’expansion territoriale et de complexité sociale autour du Mississippi. Des habitats densément peuplés entourés de villages satellites voient le jour. Le plus important, la cité de Cahokia, couvre 16 km2 et regroupe de 10 à 15.000 habitants. Des structures politiques plus ou moins centralisées font construire de grandes plateformes ou des tertres cérémoniels. Les techniques des populations du Mississippi évoluent : poteries, travail du cuivre, de la pierre, construction monumentale. La figuration de cérémonies collectives très élaborées sont gravées ou peintes.
A ce jour, les fouilles archéologiques n’ont pas révélé de boissons fermentées. L’analyse d’éventuelles traces de fermentation sur des poteries ou de germination sur des granules d’amidon n’a pas été entreprise. Cette absence de recherches systématiques reflète la doxa de l’archéologie nord-américaine : les Amérindiens ne brassaient pas de bière avant l’arrivée des Européens, sauf dans la région proche du Mexique. Les Amérindiens de Cahokia auraient préféré le tabac et favorisé des boissons énergisantes ou psychotropes comme le cacao, la Boisson Noire ou cassiné, etc.
7 - Pourquoi le cas Nord-Américain est-il important ?
L’histoire générale des boissons fermentées, en particulier celle de la bière, postule que la brasserie apparaît et se développe pendant la protohistoire des sociétés humaines quand trois évolutions majeures sont réunies : une technologie alimentaire fondée sur les plantes amylacées (agriculture/horticulture, cuisine et techniques associées), une structure sociale en voie de hiérarchisation et de segmentation (producteurs, classe dirigeante/guerriers, spécialistes des rites), enfin un complexe religieux associant les plantes alimentaires, les esprits responsables de leur croissance cyclique et la survie de la communauté pour tenter une explication.
Tel est le cadre global qui explique l’émergence de la bière comme boisson fermentée principale parmi toutes les sociétés anciennes sur la terre depuis presque 10 millénaires. Toutes ? Ou presque. Les sociétés amérindiennes d’Amérique du Nord semblent sortir de ce cadre explicatif, sauf les Anciens Pueblos et les sociétés sédentaires similaires du Sud-ouest américain, ou les sociétés hautement structurées des Appalaches. Cette « exception » nord-américaine nous incite à réexaminer les trois facteurs fondamentaux énumérés ci-dessus.
1ère hypothèse : les plantes amylacées n’ont pas été cruciales dans la survie des sociétés amérindiennes. L’abondance de gibiers et la collecte de plantes sauvages sont restées des alternatives viables après le 10ème siècle. La fermentation alcoolique des fruits sucrés est connue dans la quasi-totalité de l’Amérique du Nord avant l’arrivée des Européens. La bière n’est pas devenue une boisson fermentée autonome parce que le maïs ne s’est pas imposé comme une source alimentaire presque exclusive au sein des sociétés amérindiennes.
2ème hypothèse : la hiérarchisation des sociétés amérindiennes n’était pas aussi structurante ou avancée qu’on le pense. La migration de groupes humains rendue possible par une faible densité démographique, la coutume des adoptions par un autre clan, ou d’autres mécanismes faisaient contrepoids à la coercition sociale. Le complexe culturel du Mississippi n’aurait jamais atteint un stade irréversible d’accumulation de richesse et de pouvoir politique par une minorité, comme en Amérique du Sud, au Mexique, en Asie ou en Europe.
3ème hypothèse : les représentations religieuses ne conféraient pas aux plantes alimentaires un rôle aussi central qu’en Amérique centrale ou andine. Le tabac et les boissons de plantes psychotropes ont eu la préférence pour modifier des états de conscience, gérer les conflits sociaux, et servir de médium pour les expériences religieuses collectives. Les sociétés amérindiennes ont contrôlé le plus étroitement possible, voire banni, les comportements collectifs et les désordres liés à l’ivresse alcoolique. Les boissons fermentées ne sont entrées dans la sphère de la consommation individuelle qu’avec la colonisation européenne et le délitement des structures sociales amérindiennes.
4ème hypothèse : les trois processus protohistoriques combinés (plantes amylacées, structure sociale, complexe religieux) ne sont pas suffisants pour expliquer l’émergence ou l’absence de la bière dans tel ou tel contexte protohistorique. Cette équation est incomplète. Il nous manque un ou plusieurs termes. Le(s)quel(s) ? C’est la question.
Conclusions provisoires.
Les anciennes bières amérindiennes ne correspondent pas aux techniques de brassage des Européens pour la même période (10è-20è siècle), exception faite des bières maltées du Sud-ouest. Elles n’ont ni l’apparence, ni le goût ni même l’usage des bières occidentales à l’époque des premiers contacts (16ème siècle). Les bières amérindiennes sont le plus souvent restées inaperçues. Elles ont laissé peu de traces dans les documents relatant la colonisation de l’Amérique du Nord. La rareté des témoignages écrits et la quasi-absence de recherches archéologiques ne permettent pas d’esquisser un tableau historique de la brasserie amérindienne avant et après la colonisation. La protohistoire de la bière en Amérique du Nord est à ce jour hors d’atteinte.
L’archéologie est le moyen d’en connaître quelques lambeaux, dans cette partie du monde comme dans les autres. Mais les « Affaires Indiennes » sont encore de nos jours un enjeu idéologique majeur pour la politique intérieure américaine. Financer des recherches scientifiques sur le passé amérindien ne va pas de soi. Les laboratoires américains sont à la pointe des recherches pour détecter et identifier les traces de boissons fermentées archaïques dans le monde entier, sauf sur leur propre territoire, à quelque rares exceptions (Pueblo Bonito). Les poteries des cultures du Mississippi n’ont pas été analysées dans ce sens. Si cet obstacle est un jour surmonté, les fouilles et les analyses archéologiques pourraient réserver de belles surprises. En attendant, on ne peut affirmer que les Amérindiens du nord constituent une exception dans la protohistoire de la brasserie à l’échelle mondiale.
[1] En 985, la courte colonisation islandaise dans le Labrador et Terre-Neuve a laissé peu de traces et d’informations. Les Espagnols envahissent le Mexique en 1519 (Hernán Cortés) et la Floride en 1527 (Pánfilo de Narváez).
[2] Relacion de la Jornada de Cibola conquesta per Pedro de Castaneda de Naçera in The Coronado expedition, 1540-1542 - Studies and translation by Georges Parker WINSHIP 1896. Part II, CHAPTER I. Of the province of Culiacan and of its habits and customs. Chapter II. Of the province of Petlatlan and all the inhabited country as far as Chichilticalli. pp. 514 et 516. archive.org/details/coronadoexpediti00winsrich
[3] Cherrington, E. H. (1925). Aborigines of North America. In E. H. Cherrington (Ed.), Standard Encyclopedia of the Alcohol Problem, Vol. 1 p. 6. https://babel.hathitrust.org/cgi/pt?id=mdp.39015027587719&view=1up&seq=25
[4] Havard Valery (1896), Drink Plants of the North American Indians. Bulletin of the Torrey Botanical Club, Vol. 23 Feb. 29, p. 35. http://www.jstor.com/stable/2478422
[5] Cutler, Hugh C., and Leonard W. Blake. 1977. Corn From Cahokia Sites. In Explorations into Cahokia Archaeology, edited by Melvin L. Fowler, 122-136. Illinois Archaeological Survey, p. 134.
[6] Little Elizabeth (1991), The Late Woodland Diet on Nantucket Island and the Problem of Maize in Coastal New England, 13. Etude fondée sur l’analyse du collagène des os et de la proportion des plantes C3 et C4 (le maïs). https://www.researchgate.net/publication/271689776_The_Late_Woodland_Diet_on_Nantucket_Island_and_the_Problem_of_Maize_in_Coastal_New_England
[7] Le dossier historique de la « root beer » est très maigre. Son origine amérindienne n’est pas prouvée, bien que les diverses plantes qui servent d’ingrédients le soient.
[8] Abbot Patrick, (1996), American Indian and Alaska native aboriginal use of alcohol in the United States, 7. spauthor.oit.ucdenver.edu/academics/colleges/PublicHealth/research/centers/CAIANH/journal/Documents/Volume%207/7(2)_Abbott_Use_of_Alcohol_1-13.pdf
[9] Borek, T., Mowry, C. & Dean, G. Analysis of Modern and Ancient Artifacts for the Presence of Corn Beer; Dynamic Headspace Testing of Pottery Sherds from Mexico and New Mexico. MRS Online Proceedings Library 1047, 105 (2007). https://doi.org/10.1557/PROC-1047-Y01-05. (not an academic publication). https://ibook.pub/analysis-of-modern-and-ancient-artifacts-for-the-presence-of-corn-beer-dynamic-headspace-testing-of-pottery-sherds-from.html Review by Tamara Stewart, Ceramic analysis indicates fermented beverage was consumed in New Mexico, American Archeology, vol 12 no. 1, spring 2008, p. 10.
[10] First Evidence of Corn Beer in Southwest Discovered on Teeth From Ancient Burials, interview of David King, 2016. http://westerndigs.org/first-evidence-of-corn-beer-discovered-on-teeth-in-ancient-southwestern-burials/
[11] Crown Patricia (2018), Drinking performance and politics in pueblo-bonito-chaco canyon. American Antiquity 83(3), 391-393. Pueblo Bonito a été bâti et occupé par les Anciens Pueblos entre 600 and 1130 dans le nord de l’actuel Nouveau Mexique. cambridge.org/core/journals/american-antiquity/article/drinking-performance-and-politics-in-pueblo-bonito-chaco-canyon/93DD2435534981109BA080C393D452EF
[12] Waddell Jack (1980), The Use of Intoxicating Beverages Among the Natives of the Greater Aboriginal Southwest, in Drinking behavior among southwestern Indians : an anthropological perspective (ed. Jack O. Waddell, Michael W. Everett, Donald Nelson Brown), University of Arizona Press. P. 4 fig. 1.1. https://archive.org/details/drinkingbehavior00wadd
[13] Borek Theodore, Mowry Curtis, Dean Glenna (2007), Analysis of Modern and Ancient Artifacts for the Presence of Corn Beer. https://www.osti.gov/biblio/1426999-analysis-modern-ancient-artifacts-presence-corn-beer-dynamic-headspace-testing-pottery-sherds-from-mexico-new-mexico
[14] Coxe Stevenson Matilda (1908), Ethnobotany of the Zuňi Indians, Bureau of American Ethnology, Thirtieth Annual Report, 76. repository.si.edu/handle/10088/91736
[15] Un areito, ou areyto, était une cérémonie de danse des Indiens Arawak des Antilles au cours de laquelle leurs traditions étaient chantées. Comme le buhio, ce mot a été porté sur le continent nord américain.
[16] Álvar Núñez Cabeza de Vaca 1542, Relaçion, Chapitre XXVII. Nuňez Cabeza de Vaca (1542), Relation et Naufrages, trad. Ternaux-Compans, Arthus Bertrand, 1837. https://fr.wikisource.org/wiki/Relation_et_Naufrages/0
Nuňez Cabeza de Vaca (1542), The narrative of Alvar Nuñez Cabeça de Vaca https://commons.wikimedia.org/wiki/File:Spanish_explorers_in_the_southern_United_States,_1528-1543-_The_narrative_of_Alvar_Nu%C3%B1ez_Cabe%C3%A7a_de_Vaca_(IA_cu31924021030279).pdf?uselang=fr
[17] Bell, Willis Harvey, Edward Franklin Castetter. The utilization of mesquite and screwbean by the aborigines in the American Southwest, University of New Mexico biological series, v. 5, no. 2, University of New Mexico bulletin, whole no. 314, Ethnobiological studies in the American Southwest, 5 5, 2 (1937). https://digitalrepository.unm.edu/unm_bulletin/29
[18] Cherrington (1925, op. cit, 7) tire son information du récit de Benjamin Butler Harris. Cet émigrant vers la Californie traverse en 1849 le territoire des Yuma au confluent des fleuves Colorado et Gila (The Gila trail: the Texas Argonauts and the California gold rush).
[19] Hrdlička Aleš, Physiological and Medical Observations among the Indians of Southwestern United States and Northern Mexico (Bulletin, Bureau of American Ethnology, No. 34, 1908), 28. library.si.edu/digital-library/book/bulletin341908smit
[20] Yanovsky Elias (1936), Food Plants of The North American Indians. US Dept of Agriculture, Miscellaneous Publications no 237, 35. archive.org/details/foodplantsofnort237yano
[21] Garcés 1775, On the Trail of a Spanish Pioneer. The Diary and Itinerary of FRANCISCO GARCES in his travels through Sonora, Arizona & California 1775-1776. Translated by Elliott Coues. Vol. I, N. Y. 1900, 174. https://archive.org/details/ontrailofspanish01garc Le mot Atole désigne à Cuba et au Mexique un gruau de maïs. Au Pérou, on l'appelle mazamorra. Pozole est un nom aztèque désignant une bouillie ou un ragoût à base d'orge, de haricots ou d'autres ingrédients. Comme chicha, tous ces mots ont été retenus par les colons espagnols pour nommer des réalités amérindiennes presque inconnues en Espagne, c'est-à-dire des bouillies fines de diverses sortes de farines fermentées ou non.
[22] Laudonnière René (1564), L'histoire notable de la Floride située ès Indes Occidentales [...], éd. Basanier, Paris 1853, 121. https://gallica.bnf.fr/ark:/12148/bpt6k213939p/f3.item
[23] Hariot Thomas 1585, A Brief and True Report of the New Found Land of Virginia. 17-18. http://xroads.virginia.edu/~Hyper/HARIOT/1590-2b.html
[24] Pour être complet, Harriot décrit aussi deux sortes de vigne et le vin qu’on peut en tirer : “Il y a deux sortes de raisins que le sol produit naturellement : l'un est petit et aigre, de la grosseur ordinaire des nôtres en Angleterre, l'autre beaucoup plus gros et d'une douceur succulente. Si on les plante et les cultive comme il faut, on peut en tirer une grande variété de vins.” http://xroads.virginia.edu/~Hyper/HARIOT/1590-1.html
[25] De Soto Chronicles (The). The Expedition of Hernando de Soto to North America in 1539-1543. Clayton L., Knight V. J., Moore E. (eds), The University of Alabama Press 1993, vol. I & II. Vol. I, Rangel’s Account of the Expedition, 282 et 284.
[26] Weston La Barre 1938, 225. Cité par S. K. Lothrop, Pottery of Costa Rica and Nicaragua (Contributions, Museum of the American Indian, Heye Foundation, Vol. 8, 1926), Vol. 1, p. 34. Fernández de Oviedo, Historia general de las Indias, libro. Oviedo a noté que « estas gentes tampoco hacen vino de uvas aunque las tienen salvajes y muchas, pero hácenlo de maíz y yuca y en otras partes de miel e agua y en partes algunas de ciertas ciruelas y pinas y otros vinos y brebajes. » (Historia, 1ère partie, livre V, chap. 50). « Ces gens ne font pas non plus de vin de raisin, bien qu'ils aient du raisin sauvage en abondance, mais ils le font de maïs et de yucca [manioc] et, dans d'autres endroits, de miel et d'eau, et dans certains endroits de certaines prunes et d'ananas et d'autres vins et concoctions.”
[27] Sagard Gabriel (1632), Le grand voyage du pays des Hurons, situé en l'Amérique vers la mer douce, ..., 136-137. https://gallica.bnf.fr/ark:/12148/bpt6k109515f
[28] Les célèbres études de Lévi-Strauss (« Le Cru et le Cuit » 1964) ont explicité pour l’Amérique du sud les rapports entre la tekhnè culinaire et la construction symbolique du monde amérindien.
[29] Milfort (1766), Mémoire ou Coup d'oeil rapide sur mes différens voyages et mon séjour dans la nation Crëk, 1802, 102-103. archive.org/details/mmoireoucoupdo00milf?ref=ol&view=theater
Milfort (1766), A cursory glance at my different travels & my sojourn in the Creek Nation, ed. 1959. archive.org/details /memoirorcursoryg00milf/page/150/mode/2up
[30] Swan Caleb, Position and State of Manners and Arts in the Creek, or Muscogee Nation in 1791. In Information Respecting the History, Condition, and Prospects of the Indian Tribes of the United States, Vol. 5, by Henry Rowe Schoolcraft, pp. 251–283. Lippincott and Grambo, Pliladelphia. https://digital.lib.niu.edu/islandora/object/niu-lincoln%3A38285
[31] Bartram William (1791), Travels through North and South Carolina, Georgia, East and West Florida, the Cherokee Country, etc., 184. docsouth.unc.edu/nc/bartram/bartram.html
[32] Bourke, John Gregory (1891), On the border with Gal Crook, 297. https://archive.org/details/ldpd_7039048_000/page/n9/mode/2up?q=beer
[33] Curtis Edward (1907), The North American Indian Vol. 1., 19-20. http://curtis.library.northwestern.edu/curtis/toc.cgi
[34] Hrdlička Aleš (1904), Method of preparing tesvino among the White River Apaches. American Anthropology, 6, 190-191. jstor.org/stable/659308?seq=1#metadata_info_tab_contents
[35] Locoweed or rootbark of the lignum vitae selon James L. Haley, Apaches: A History and Culture Portrait, University of Oklahoma Press, 1997, 98.
[36] D’abord pour préparer le pain de blé de l’Eucharistie, ensuite pour satisfaire le goût des colons Espagnols. Même politique pour la vigne et le vin.
[37] Dans la seconde moitié du 19ème siècle, tous les pouvoirs coloniaux dans le monde tentent de remplacer les aliments et les boissons traditionnelles des peuples colonisés par des produits industriels présentés comme plus sains, mieux intégrés dans les économies marchandes nationales et moins suspectes d’entretenir un lien avec les cultures autochtones et les traditions dites « païennes ». Les bières amérindiennes sont particulièrement visées par ces politiques coloniales en Amérique du Nord et en Amérique latine. Des politiques similaires sont menées en Afrique par les autorités coloniales françaises, britanniques, portugaises ou belges.
[38] (Geronimo 1993) Mémoires de Géronimo, recueillis par S. M. Barrett, Frederick W. Turner, Editions la Découverte. Geronimo, a biography (1990), by Adams Alexander B. http://www.let.rug.nl/usa/biographies/geronimo/early-life.php (tiswin making). http://www.let.rug.nl/usa/biographies/geronimo/removals.php (tiswin party)
[39] Macy, Z. 1810 [1794] A Short Journal of the First Settling of the Island of Nantucket (1792). Collections of the Massachusetts Historical Society 3:155-160.
[40] Elizabeth A. Little and Margaret J. Schoeninger, The Late Woodland Diet on Nantucket Island and the Problem of Maize in Coastal New England, American Antiquity Vol. 60, No. 2 (Apr., 1995), pp. 351-368.
[41] Le Page du Pratz (1758), Histoire de la Louisiane contenant la découverte de ce vaste pays ... 3 Tomes. T. 2, 10-11. https://gallica.bnf.fr/ark:/12148/bpt6k10417838
[42] Lemert, EM (1954). Alcohol and the Northwest Coast Indians. University of California Publications in Culture and Society, vol 2, No. 6.
[43] Davydov Gavriil Ivanovich (1977). Two Voyages to Russian America, 1802-1807. Limestone Press. Translated by Colin Bearne. 176.
[44] Thomas E. Emerson, Kristin M. Hedman and Mary L. Simon, Marginal Horticulturalists or Maize Agriculturalists? Archaeobotanical, Paleopathological, and Isotopic Evidence Relating to Langford Tradition Maize Consumption.