La triple corrélation : bières archaïques, agriculture primitive, sociétés avancées.
La triple correspondance désigne le lien protohistorique établi entre les foyers de domestication des plantes amylacées, les sociétés les plus avancées après la transition du néolithique et les plus anciennes traces de bière identifiées à ce jour.
Les plus anciennes traces matérielles de brasserie sont localisées au sein des aires primaires de domestication de plantes amylacées.
A compter du premier usage des plantes cultivées dans chacune de ces aires, la brasserie n’émerge qu’après un à plusieurs millénaires, et une période plus ou moins longue d'adaptation sociale et technique.
Il existe une troisième correspondance entre la nature des plantes domestiquées et les sortes de bière produites dans chaque aire de domestication, aussi loin que les documents remontent dans le passé. Ces bières se différencient par l'origine de l'amidon et la nature des plantes utilisées. Le Tableau 4 balaye les aires primaires et secondaires[1] de domestication. Il confirme le lien attendu, à la fois technique et historique, entre les ressources locales d'amidon, les bières brassées et les traditions brassicoles régionales anciennes.
Les premiers brasseurs/brasseuses confectionnent leurs bières avec ce qu'ils ont sous la main. Tous les gisements d'amidon ont été exploités au cours de l’histoire, même les plus inattendus, comme la pomme de terre, le fruit du caroubier, la moelle du palmier-sagou ou les graines de nénuphar.
Aire de domestication (primaire/secondaire) |
Plantes amylacées domestiquées |
Bières traditionnelles anciennes |
Proche-Orient |
Orges, blés, avoine, lentilles, pois |
Bières d'orge et de blé amidonnier |
Perse |
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Bières d'orge et de blé |
Inde et Pakistan |
Orge six-rangs? |
Bières d'orge, de riz, de haricots-mung |
Plateau tibétain/Himalaya |
Eleusine |
Bières d'orge et d'éleusine |
Chine du Nord-est/Corée |
Millet |
Bières de millet, blé |
Chine du Sud |
Riz, millet, pois |
Bières de riz |
Asie du Sud-Est |
Plantain, taro, igname |
Bières de riz, taro, |
Philippines, Indonésie |
Plantain, taro, igname |
Bières de taro, igname, sagoutier |
Japon |
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Bières de riz |
Egypte |
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Bières d'orge et de blé |
Ethiopie/Soudan |
Tef, éleusine, doura |
Bières de tef, éleusine, blé doura |
Afrique sub-saharienne |
Sorgho, mil, igname, riz |
Bières de sorgho et mil |
Afrique orientale |
Banane plantain |
Bières de bananes (région des Grands Lacs) |
Amérique centrale/Mexique |
Maïs, haricot |
Bières de maïs, haricot |
Amérique andine |
Pomme de terre, chénopodes |
Bières de maïs, pomme de terre, quinoa |
Guyanes et Caraïbes |
Manioc, patate douce |
Bières de manioc et patate douce |
Amazonie |
Manioc |
Bière de manioc |
Amérique du Sud |
Caroubier |
Bière de caroubier (sud argentin) |
Amérique du Nord |
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Europe |
Lentille, seigle |
Bières d'orge, blé, seigle |
Sortes/types de bière selon les aires de domestication primaire ou secondaire de plantes amylacées.
Relever ces coïncidences géographiques et chronologiques n'épuise pas la question de la naissance de la brasserie. Si les sociétés primitives qui se développent dans chaque aire de domestication sont conditionnées par les espèces végétales cultivées, ces spécificités laissent des traces dans les techniques de brasserie propres à chaque aire. Ceci introduit la notion de bassin brassicole.
Noter que l'Europe n'est ni un foyer primaire, ni une aire secondaire pour la domestication de plantes amylacées. Il est improbable que l’Europe soit un bassin brassicole. Et douteux qu’y soient nées des bières primitives, des techniques de brasserie originales et des sociétés originellement fondées sur la bière. Mais l’Europe des cultures campaniformes a pu emprunter ou adapter au 3ème millénaire av. n. ère ce qui venait du Proche-Orient, d’Asie centrale ou d’Afrique du Nord (via l'Espagne).
[1] Une aire secondaire englobe les régions de diversification et d’expansion de la première variété domestiquée. Les mécanismes de la diversification : hybridation, recombinaison génétique, sélection humaine, etc.