La réduction drastique et l’appauvrissement au 20ème siècle.
La Reinheitsgebot bavaroise est étendue en 1906 à tout l’empire Allemand, malgré les cris d’alarme de la profession. Cette mesure autoritaire provoquera la disparition de nombreuses spécialités régionales allemandes.
En 1880, il y avait environ 2.400 brasseries en exploitation aux États-Unis, couvrant la plupart des styles de brassage classiques. Aujourd'hui (2010), ne subsistent que 375 brasseries. Le changement date de la Loi de 1919 Volstead et du 18ème amendement à la Constitution introduit durant la prohibition. Pendant cette période, les petites brasseries ont jeté l'éponge et les plus grandes ont survécu en produisant des malts pour l'agro-alimentaire (biscuiterie, boulangerie, etc.) et des pseudo-bières sans alcool (malt + édulcorants non fermentés).
Les premières visent à grandir par absorption ou disparition des concurrents locaux. La bière standardisée produite à grande échelle répond aux objectifs d’une administration fiscale qui ne veut pas devoir contrôler chaque auberge ou ferme-brasserie, chaque petite brasserie de village.
Les organisations de tempérance, quand elles ne prônent pas la prohibition totale de l’alcool comme aux Etats-Unis, voient dans la bière un moindre mal comparée aux alcools distillés (gin, rhum, eau-de-vie, etc.), aux vins renforcés, aux liqueurs et autres absinthes. A condition que la bière soit saine et reste faiblement alcoolisée. Il en résulte des barèmes officiels par lesquels chaque administration nationale classe la multitude de ses bières selon le critère du volume d’alcool.
Deux guerres mondiales ravagent le continent. Chaque fois, les brasseurs en sortent ruinés: en temps de guerre, les grains vont à la nourriture des hommes et des animaux. Seules les grosses usines à bière peuvent se reconvertir en fabriquant le pain du soldat ou des biscuits de guerre. Chaque fois, les brasseries seront pillées: le cuivre des cuves, le plomb et l’étain servent à fabriquer des armes. Au sortir de la seconde guerre mondiale, le nombre des brasseries chute dramatiquement dans tous les pays, même en Allemagne et en Belgique. Les mouvements de concentration industrielle et capitalistique auront raison des dernières brasseries régionales indépendantes dans les années 1980. Même en Allemagne, les fusions s’accélèrent.
En Europe de l’Est, la centralisation économique fait disparaître la brasserie privée. Seules subsistent des marques de bière brassées selon des procédés uniformisés dans des brasseries d’Etat. Mention spéciale pour une spécialité de Berlin-Est qui survit : la Berliner weisse, à base de malt d’orge + blé cru avec fermentation lactique additionnelle. Paradoxalement, la réunification allemande signera la disparition de cette bière originale du paysage brassicole européen.
Un réveil se produit dans les années 80 pour lutter contre la standardisation excessive des bières européennes. L’initiative vient des amateurs d'ales authentiques, inquiets de voir disparaître dans les pubs du Royaume-Uni leur bière locale, remplacée par une fade pils à la manière continentale. Le revival est lancé et traverse la Manche. Il prend la forme de pub-brasseries et micro-brasseries capables de confectionner des bières plus typées vendues sur place ou très localement.
Retour apparent aux traditions du 19ème siècle ? Pas du tout. Miniaturisée et moins coûteuse, la technologie des grandes brasseries est disponible depuis les années 80 pour de petites installations. Même un amateur peut "piloter" une brasserie miniature automatisée.
Est-ce un gage de bières originales ? Non. Tout dépend de l'imagination et de l'expérience du brasseur, du dynamisme du "propriétaire-tavernier" et des goûts de ses client(e)s (peu ou prou enclin(e)s à l'aventure).
Deuxième obstacle : les directives qui encadrent la brasserie et définissent la « bière » à l’échelle européenne sont encore plus stérilisantes et fermées que l’addition ou la superposition des anciennes régulations nationales.
Définition EBC de la bière (EU Directive 92/83/EEC) = « Aux fins de la présente directive, on entend par bière: tout produit relevant du code NC 2203 ou tout produit contenant un mélange de bière et de boissons non alcooliques relevant du code NC 2206, ayant dans l'un ou l'autre cas un titre alcoométrique acquis supérieur à 0,5 % vol. » [1].
Soupe de céréales fermentées à son origine, la bière est restée jusqu'à nos jours une « boisson obtenue par fermentation alcoolique d'un moût fabriqué avec du houblon et du malt d'orge pur ou associé... à du malt provenant d'autres céréales » (Décrets du 28 juillet 1908. Ce texte, remplaçant la loi de 1816, très controversée par les brasseurs, a jeté les bases de la brasserie moderne en France. Dixit P. Voluer, De Céréales et d'eau. La brasserie française. Terrain n° 13 1989).
[1] Le code NC 2203 provient d'une classification des douanes harmonisées à l'échelle européenne. Elle dit : La dénomination "bière" est réservée à la boisson obtenue par fermentation alcoolique d’un moût préparé à partir de malt de céréales, de matières premières issues de céréales, de sucres alimentaires, de houblon, de substances conférant de l’amertume provenant du houblon et d’eau potable. Il faut au moins du malt et du houblon. Exemple d'une autre définition légale et administrative : Un véhicule automobile est muni d’un moteur à essence ou diesel. Qui pourrait alors concevoir une voiture à moteur électrique ! Pour la bière, c'est pareil. L'unique voie de saccharification de l'amidon serait le malt, selon ces définitions restrictives. Une bière de riz traditionnelle (brassée grâce aux ferments amylolytiques) importée de Chine, ou une bière de manioc venue du Brésil (même procédé) doit entrer en Europe avec une étiquette "vin" et non pas "bière" pour se conformer à l'absurdité des règlements douaniers européens. Les mêmes restrictions sont édictées par le Code des douanes américaines.