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2 - L’hypothétique bière de pomme de terre des Tehuelches au 16ème siècle.
L'expédition de Magellan longe en 1520 les côtes de l'Amérique du sud en quête d'un passage vers le Pacifique pour ouvrir une route commerciale vers les îles Moluques, source des épices, notamment le girofle et la muscade. Entre mars et août 1520, les 5 navires hivernent dans une baie près du Rio Deseado. Sans le savoir, ils mouillent à quelques 500 km au nord du passage maritime vers le Pacifique. Ce chenal portera le nom de Détroit de Magellan.
Pendant l’hivernage, les premiers contacts ont lieu avec des indiens Tehuelches qui habitent cette région. D'après le carnet de bord du pilote génois Leone Pancaldo revenu vivant de ce périple autour du monde :
« Les hommes y sont hauts de 9 et 10 empans [soit 1,80 m à 2 m, "grands comme ceux d'Allemagne ou des pays nordiques", dit le manuscrit de Leyde], fort bien faits de corps. Ils n'ont point de logis mais vont vaquant alentour comme des bêtes et mangent de la viande à moitié crue. Ils sont adroits de leurs arcs et de leurs flèches et ils chassent des bêtes auxquelles ils retirent la peau pour se tailler des vêtements. Ils assouplissent ces peaux à l'extrême et les découpent en fonction de leur tournure, puis ils s'en recouvrent et les nouent à la ceinture. Quand ils veulent aller torse nu, ils laissent retomber le pan supérieur sur leur taille. Ils portent des souliers qui remontent jusqu'au cou du pied et ils les remplissent de paille pour avoir chaud. Ils ne connaissent pas le fer ni d'autres sortes d'armes : c'est au moyen de pierres qu'ils fabriquent les pointes de leurs flèches et de leurs haches, ainsi que des machettes et des alènes qu'ils utilisent pour tailler et coudre souliers et vêtements. C'est un peuple très alerte et paisible, qui accompagne l'errance de son bétail. Il fait son gîte là où il est surpris par la nuit, et les femmes suivent les hommes avec tous les biens qu'ils possèdent. Ces femmes sont de petites tailles et elles portent de lourds fardeaux sur le dos. Elles se vêtent et se chaussent comme les hommes. » [1]
Les Tehuelches sont chasseurs nomades ou pêcheurs, occasionnellement éleveurs de guanaco. Rien ne laisse penser qu'ils aient pu brasser de la bière. Néanmoins Pigafetta, supplétif à bord de la Trinidad, nef amirale de Magellan, livre d'autres détails troublants :
« Le capitaine [Magellan] appela cette manière de gens Pataghoni, lesquels n'ont point de maisons mais des baraques [capanes portatilis = tente] faites de la peau des susdites bêtes de quoi ils se vêtent, et ils vont ça et là avec leurs dites baraques, comme font les Egyptiens [Cingani = Gitans]; ils vivent de chair crue et mangent d'une certaine racine douce qu'ils appellent capac. » [2]
Ce capac est un nom d'origine tehuelche phonétiquement transcrit par Pigafetta. Celui-ci fournit un répertoire de quelques mots "patagoniens" recueillis de la bouche d'un indien adulte techuelche retenu de force plusieurs semaines à bord de la nef amirale. Capac désigne la "poudre d'herbe qu'ils mangent", il faut comprendre la farine obtenue d'une racine alimentaire. Les Tehuelches se servent de cette racine pour fabriquer une sorte de pain, d'après le court lexique rédigé par Pigafetta lui-même.
« Me dit ce vocable ce géant que nous avions sur le navire, pour ce que lui me demandant capac, c''est à dire pain, à cause qu'ainsi ils appellent cette racine dont ils usent pour pain, et oli, c'est à savoir eau, quand il me vit écrire ces noms … » [3]
Capac désigne donc une source végétale d'amidon. Elle procure une farine dont on peut faire une sorte de pain, du moins un aliment équivalent du biscuit de marin. Parmi les racines amylacées susceptibles de pousser sous cette latitude, ce capac est-il une igname ou une patate douce (peu probable), ou une pomme de terre ?
Cette racine n'est pas identifiée. Pigafetta ne donne pas d'autres renseignements. Dans le climat rude et froid de la Patagonie, on pense à des variétés de pomme de terre. Les Mapuche, voisins orientaux des Tehuelches, vivent sur la côte pacifique, cultivent la pomme de terre et savent en faire de la bière.
D'après ces observations trop lacunaires, nous ne saurons pas si les Tehuelches avaient découvert une méthode pour confectionner une bière à base de tubercules farineux.