Synthèse chronologique des bières archaïques.

  

Une seule boisson fermentée mixte et indifférenciée ? Trois boissons distinctes produites et consommées dans les mêmes récipients ou pas ? Cette alternative est très académique. L'histoire humaine montre que les techniques alimentaires sont perméables et opportunistes, a fortiori pour des chasseurs-cueilleurs à peine sédentarisés.

Les données disponibles offrent une certitude. Après la naissance de l'agriculture et avec un certain décalage, hydromel, vin et bière coexistent au sein de communautés culturellement avancées. Ce décalage n’est pas uniforme, selon les régions et les continents.

Le tableau ci-dessous résume les données disponibles à ce jour. Les dates certaines reposent presque exclusivement sur l'analyse des traces chimiques laissées par d'anciens résidus de boissons fermentées.

La détection d'oxalate de calcium (marqueur d'une fermentation alcoolique) n'établit pas avec certitude la production de bière (vs hydromel ou vin). Il faut la présence de restes de céréales pour confirmer l'origine amylacée de la boisson fermentée. Mais ces derniers n'excluent pas l'utilisation conjointe d'autres sucres fermentescibles (miel, jus, sèves ou exsudats sucrés). Ces combinaisons (amidon/miel/fruits) sont attestées soit dans les mêmes poteries, soit dans des réceptacles différents mais pour le même horizon chronologique d'un même site archéologique.

 

Premières bières et naissance de la Brasserie par régions du monde.

Régions

Sites

Date certaine av. notre ère

Date + ancienne présumée

 Jordanie/Palestine

Raqefet

-11.000

-11.500

 Chine du Nord-est

Jiahu

-6500

-7500

Iran/Irak

Godin tepe, Shahr-i Shokhta

-4000

-6000 (Syrie/Anatolie)

 Egypte

Hierakonpolis

-3500

-5000

 Crète/Grèce

Apodoulou, Myrthos, Chania, Chamalevri, Thèbes, Midea

-2000/-1500

-2700 (Minoens)

 Europe (Espagne)

La Pena, Sima, Genó

-2500/-1100

-3000 (Bell-Beaker culture)

 Amérique du Sud

Cerro Baul, Omo

+600 à 1000

Début notre ère (Mexique, Guatemala, Colombie)

 

L'origine de la bière est à chercher dans ces boissons fermentées mixtes, combinaison de plusieurs sources sucrées : amidon transformé, miel, jus naturels de fruits ou baies, sève, exsudats sucrés. La bière proprement dite – dans sa définition technique (boisson à base d'amidon) – émerge du tronc commun des boissons fermentées à base d’ingrédients combinés. La bière est une spécialisation venue avec l'évolution culturelle ou les adaptations aux écosystèmes. La bière ne précède pas les boissons fermentées mixtes, elle leur succède comme rameau spécifique, à côté du vin et de l'hydromel. La première bière relève du mythe.

Les boissons fermentées composées de n'importe quel ingrédient fermentescible symbolisent des stratégies humaines opportunistes. La transition vers le néolithique conduit les groupes humains à spécialiser leur stratégie économique et alimentaire. Les hommes commencent à brasser de la bière quand ils disposent de réserves annuelles et sécurisées d'amidon. La différenciation des boissons fermentées accompagne la marche en avant des sociétés humaines vers le mode de production agricole, avec toutes ses conséquences sociales et culturelles.

La bière devient alors un témoin-clé d'évolutions techniques et sociales irréversibles. Les dates fiables du Tableau 1 désignent toutes des sociétés pré-littéraires déjà engagées dans un processus de complexification. Leurs techniques, leurs modes de vie ne ressemblent plus à ceux des communautés primitives néolithiques. Les hiérarchies sociales y sont déjà visibles. Dans certains cas, comme Godin Tepe (Iran) ou Cerro Baul (Bolivie), la bière semble être le privilège et la marque sociale d'une élite. "Boire de la bière" confirme le pouvoir de puiser dans les greniers dont dépend la survie alimentaire de toute la communauté.

La colonne "Dates + anciennes présumées" du tableau indique des jalons chronologiques plus anciens pour la naissance de la brasserie. Ces repères se fondent sur des indices convergents : proto-urbanisme, technologies avancées, plantes domestiquées riches en amidon, etc. Mais ces preuves ne sont pas aussi fortes que les analyses de marqueurs chimiques et de débris végétaux. Celles-ci suppléent l’absence de documents écrits ou figuratifs.

 

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06/09/2018  Christian Berger