L’ancienne brasserie Amiel à St Girons (Ariège, France).
La brasserie Amiel a été fondée en 1867 par Jean-Baptiste Amiel, négociant en cafés, liqueurs, vins et bières à St Girons dans l’Ariège. Il y avait à la fin du 19ème siècle et jusqu’en 1914 environ 2000 brasseries dans tous les départements de France, dont 8 en Ariège. La coupure entre monde brassicole septentrional et monde vinicole méridional n’existait pas. Cette fracture date de la seconde moitié du 20ème siècle. Elle rime avec la concentration industrielle et la disparition ou la fermeture de toutes les brasseries dans le sud de la France, jusqu’au renouveau des brasseries artisanales depuis une vingtaine d’années.
1 - Bref historique de la brasserie Amiel.
Jean-Baptiste Amiel (1814-1871) tient un débit de boissons au rez-de-chaussée de sa maison d’habitation située 12 Blvd Noël Peyrevidal (nom actuel) à St Girons. Il fabrique ses propre sodas, cafés et liqueurs et créé en 1867 sa propre brasserie adjointe au débit de boissons. Cette petite brasserie prend de l'importance dans la commune. La bière Amiel commence à être connue. Elle est brassée avec l'eau d'une source appartenant à la famille. Le fils Julien Amiel (1844-1917) prend la suite, puis sa femme Marie Lasserre (1853-1926). La brasserie passe les années difficiles de la guerre 14-18 sans trop de dégâts, contrairement à ses consœurs du Nord bombardées ou pillées par les Allemands à la recherche de cuivre. Seule ombre, la mobilisation des soldats, prioritairement des hommes jeunes venus des provinces méridionales, provoque une véritable saignée de main d’œuvre.
La brasserie prend un nouveau départ à la fin de cette guerre sous la direction d’Emile Lasserre (1885-1961), neveu de Marie Lasserre. M. Marfaing, maître-brasseur, est embauché. Il vient d’Alsace-Lorraine nouvellement rattachée à la France par le traité de Versailles. Il apporte la technique des bières de fermentation basse de tradition allemande [1]. Elles sont alors en vogue.
Dans les années 1920-1930, la brasserie acquiert des terrains attenants sur lesquels sont édifiés les bâtiments actuels situés Place du 8 mai 1945 à Saint Girons. Ils sont construits selon les plans modernes de l’industrie brassicole à cette époque. Les différents ateliers s’organisent sur 5 niveaux : au grenier stockage du malt et des grains crus ; au 2ème étage, le moulin de concassage ; au 1er étage la salle de brassage ; au rez-de-chaussée les cuves de fermentation, la filtration, la mise en fûts et l’embouteillage ; au sous-sol les cuves de garde. Cette organisation verticale suit la circulation par gravité des matières premières et des liquides (grains, eau chaude, moût chaud, moût décanté dans un grand bac, moût refroidi avec un échangeur Baudelot, moût fermenté et bière gardée au sous-sol, bière filtrée avant embouteillage).
Seul problème, la seconde guerre mondiale stoppe la livraison du matériel commandé en Lorraine avant la guerre. Il ne sera livré à St Girons qu’en 1944. La nouvelle salle de brassage est inaugurée en 1945. La brasserie communale devient régionale. Emile Lassere a deux enfants, Auguste (1913-2001) et François (1920-2014). La brasserie Amiel devient Amiel-Lasserre Père & Fils en 1947, puis Amiel S.a.r.l. Une quinzaine de personnes y travaillent jusque dans les années 60. La bière est transportée en charrette, puis en train jusque dans le Bas-Salat et la Haute-Garonne, ou en tramway jusqu’aux Mines du Bentaillou, à Sentein.
Auguste et François Lasserre partent apprendre leur métier à l’Ecole de Malterie-Brasserie de Nancy et deviennent respectivement ingénieur- et maître-brasseur, diplômes exigés pour être autorisés à fabriquer et commercialiser de la bière en France à cette époque [2].
Après la seconde guerre mondiale, la brasserie Amiel se développe au niveau régional dans un marché de la bière devenu national et de plus en plus concurrentiel. On produit alors plusieurs qualités comme la Blonde de Luxe, l'Amiel Pils, La Bière Bock, la Brune, la Silva, la Vicburg ou encore certaines étiquettes personnalisées pour une chaîne alimentaire. Les orges viennent d’Alsace, les houblons sont tchèques, l’eau est celle de la source familiale.
Dans les années 1960-70, les concentrations industrielles sont à l’ordre du jour. Les marques de bières nationales s’imposent avec la naissance du marketing et des campagnes de publicité. Dans les années 1960, il ne reste que 5 brasseries indépendantes dans le sud de la France, et 2 dans les années 1980.
Le brassage des bières Amiel s’arrête en 1976. La Sarl Brasserie Amiel se tourne alors vers la distribution des marques en vogues demandées par sa clientèle. Son activité de grossiste distributeur indépendant prospère. La brasserie Amiel est toujours le spécialiste de la bière dans la région : installation et entretien des pressions dans les cafés-restaurants, … Puis création d’un Cash and Carry : libre-service en boissons, alimentation, équipement hôtelier toujours en activité de nos jours. En 1997, la Sarl Brasserie Amiel vend ses tournées de distribution et sa clientèle au groupe Kronenbourg. Les marques nationales sont à leur tour rachetées et regroupées par des capitaux internationaux. Le groupe Kronenbourg détenu par BSN fusionne en 1986 avec le groupe SEB (Société européenne de Brasserie). Cette holding conduit une politique de concentration nationale de la distribution de bières et de fermeture des sites régionaux de production de bière encore en activité. Le groupe Scottish & Newcastle rachète Kronenbourg en 2000 et acquiert ainsi le réseau de distribution de la brasserie Amiel. En 2008, Scottish & Newcastle est à son tour avalé par Heineken et Carlsberg.
En 1977, les bâtiments de la brasserie sont désaffectés. Mais, chose exceptionnelle, ils ne sont pas détruits car ils appartiennent toujours aux descendants de la famille Amiel. Les installations et le matériel de brassage qu’ils abritent sont restés sur place jusqu’à ce jour, à l’exception d’un filtre à Kieselguhr donné au Musée de la bière de Stenay.
2 - La brasserie et ses installations de brassage en 2023.
Le bâtiment de la brasserie Amiel et ses installations techniques forment un ensemble tout à fait exceptionnel. Il illustre parfaitement l’organisation d’une brasserie au milieu du 20ème siècle. Son schéma vertical matérialise un effort de rationalisation, une organisation du travail et la recherche d’une production régulière tout au long de l’année. C’est le schéma classique adopté par les brasseries industrielles de la première moitié du 20ème siècle. Le circuit des matières premières (malt, grains crus, houblon) va du haut vers le bas, rencontre l’eau chaude dans la salle de brassage, et se termine dans les cuves de fermentation puis la cave de garde de la bière finie.
Fin de la gallerie
3 - Un musée de la bière à St Girons ?
Le bâtiment de la brasserie Amiel et ses installations techniques encore en place ont une grande valeur patrimoniale. Conserver ces témoins matériels d’un passé industriel florissant relève d’une urgence à la fois culturelle et historique.
Urgence culturelle : le patrimoine industriel mérite autant d’attention que le patrimoine artistique des monuments historiques. En France, des sites industriels (mines, salines, papeteries, forges, moulins, fours, …) ont été préservés, mis en valeur et intégrés dans les circuits touristiques. L’intérêt du public pour ces activités de production est prouvé par les Journées du Patrimoine.
Urgence historique : les installations techniques de la brasserie Amiel forment avec leur bâtiment un ensemble à la fois complet et en bon état. Il permet de présenter le fonctionnement d’une brasserie au milieu du 20ème siècle de manière concrète et pédagogique. Sauvegarder cet héritage technologique est important. Les anciennes brasseries du 20ème siècle ont presque toutes été détruites. L’activité brassicole dans le sud de la France est une histoire tombée dans l’oubli. La ville de St Girons a la chance d’en posséder l’un des derniers témoignages.
En France, il n’existe à ce jour que trois patrimoines brassicoles préservés :
- Le musée de Stenay (Meuse) installé dans une ancienne malterie. La brasserie Amiel a offert au Musée de Stenay deux de ses plus anciens trésor : un filtre à Kieselguhr (diatomées pour la filtration fine du moût) et l’ancien registre des premiers brassins de la brasserie.
- Le musée de Saint Nicolas-de-Port (Meurthe-et-Moselle) installé dans une ancienne brasserie industrielle qui a connu le même sort que celle de St Girons.
- Le musée vosgien de la brasserie à Villers-sur-Illon (Vosges) installé dans les locaux de l’ancienne Grande Brasserie et Malterie Vosgienne.
Tous se situent dans le Nord ou l’Est de la France. La présence de la brasserie dans le Sud de la France est ancienne. Cette région mériterait son musée.
Interview de M. Jean-Marc Hebrail et visite de la brasserie Amiel le 5 juillet 2023.
[1] La brasserie Laubenheimer à Nérac (Lot-et-Garonne, 140 km au nord de St Girons à vol d'oiseau) a suivi une politique et un développement similaire : recrutement d’un maître-brasseur, modernisation de la brasserie, gammes de bière de fermentation basse (Fanette Laubenheimer, La brasserie Laubenheimer à Nérac (Lot-et-Garonne). Une Histoire de famille 1799-1958, Editions d’Albret, 2018).
[2] Ce n’est plus le cas depuis l’explosion récente des brasseries artisanales. Internet et les logiciels d’aide au brassage sont la principale source d’informations. Mais l’Ecole de Brasserie-Malterie de Nancy forme toujours des ingénieurs brasseurs.