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Les Amérindiens du Grand Nord-Ouest.
De nombreuses tribus du Nord ont eu des contacts accrus avec la population blanche entre 1804 et 1806, lorsque Lewis et Clark et d'autres équipes de l'armée américaine ont exploré cette région. À cette époque, la plupart des tribus connaissaient les boissons alcoolisées (Weibel-Orlando, 1986). Rien ne prouve que l'alcool était produit dans cette région avant le contact avec les Blancs ou que l'une de leurs cérémonies comportait la consommation rituelle de boissons non alcoolisées comme c'est le cas dans les tribus du sud-est (Abbot 1996, 7-8). Dans le nord-ouest, les Kwakiutl de l'île de Vancouver produisaient une boisson légèrement alcoolisée à base de jus de sureau, de chitons noirs et de tabac[1].
Bien qu'ils n'aient que peu ou pas d'agriculture, les Aléoutes et les Yuit de l'île de Kodiak en Alaska préparaient des boissons alcoolisées avec des framboises fermentées. Les Aléoutes eurent leur premier contact avec des marins russes qui apportèrent avec eux et fabriquèrent plus tard le "kvass". Il s'agissait d'une boisson alcoolisée fabriquée à partir de céréales, de pommes ou de racines et censé prévenir le scorbut: "Les Aléoutes, cependant, n'avaient pas besoin d'alcool de contrebande, car depuis plus d'un siècle [avant l'achat de l'Alaska par le gouvernement américain en 1867] ils avaient adapté à leur propre usage l'art de faire du kvass, qu'ils préparaient en faisant fermenter du sucre, de la farine, du houblon, des pommes séchées et peut-être des baies avec de l'eau dans un grand tonneau. Avant que le mélange ne se clarifie, ils en tiraient un liquide épais et aigre qui était une source réelle d'alcool.". "Pour la plupart des Koniag, cependant, le kvass restait la boisson de base. Il était préparé à peu près de la même façon que dans les Aléoutiennes, avec semble-t-il plus de pommes de terre et de baies utilisées." (Fortuine 1989, 291). Au début, l'alcool n'était un problème que pour les marins russes, mais il est devenu un problème sérieux pour les Aléoutes. Les indigènes de cette région ont également appris à préparer le kvass et avaient accès au whisky de contrebande (Abbot 1996, 9). L'autre récit donné par Davydov en 1807 concerne les Koniag, un groupe Esquimau du Sud-est de l'Alaska nommé Kolosh par les Russes, des Tlingit : "Cependant, les Koniagas s'enivraient avant que les Russes arrivent, avec du jus fermenté de framboise et de myrtille"[2]. Davydov confirme que : "D'un autre côté les Russes utilisent la myrtille et les racines de fougères pour faire du kvass." (Davydov 175).
Les Aléoutes ou les Koniag buvaient des boissons fermentées à base de baies et de fruits avant leurs premiers contacts avec les colons russes à la fin du 18ème siècle. Brassaient-ils de la bière ? Disposaient-ils de ressources végétales amylacées comme les racines utilisées par les Tlingits (Kolosh)? La question reste en suspens.
La bière est une boisson ancienne brassée dans des régions du monde où on ne l'attend pas. Les autochtones d'Hawaï (Kanaka Maoli) produisaient la bière okolehao à partir des racines de la plante ti (Cordyline fruticosa)[3]. Cette plante revêt une grande importance culturelle dans les religions animistes traditionnelles des peuples austronésiens et papous des îles du Pacifique, de la Nouvelle-Zélande, de l'Asie du Sud-Est insulaire et de la Papouasie-Nouvelle-Guinée. Elle est aussi cultivée pour l'alimentation et la médecine traditionnelle. Ses racines contiennent principalement des hydrates de carbone qui se transforment en sucres fermentescibles par torréfaction ou par la salive, puis produisent une bière traditionnelle après fermentation. Hawaii a été colonisée il y a au moins 800 ans avec le voyage des Polynésiens depuis les îles de la Société. Ils ont probablement brassé la bière okolehao dès les débuts de leur installation, voire plus tôt dans leurs terres d'origine, bien que l'histoire de cette boisson soit inconnue en dehors de la tradition orale des Kanaka Maoli et de leurs cérémonies. Les marins russes et anglais introduisent les techniques de distillation vers 1790[4]. La plupart étaient des baleiniers et utilisaient de grands pots en fer pour extraire l'huile de la graisse de baleine. Okolehao signifierait littéralement "cul de fer", du Hawaiien ʻōkole ("cul") + hao ("fer"). Peu après ces premiers contacts avec des Blancs, les Hawaïens apprennent à distiller la bière okolehao pour en faire un alcool fort, utilisant ces "culs de fer" comme alambic.
La conversion de la bière en alcool distillé a considérablement modifié le rôle social de cette boisson fermentée. L’okolehao perd progressivement son lien avec la plante sacrée et devient un alcool à usage commercial. On y ajoute du sucre de canne, d’ananas et autres matières sucrées pour augmenter sa teneur en alcool. Le nom s’est conservé, mais l’okolehao distillé n’a que peu de rapport avec la bière originelle des Hawaiiens avant les premiers contacts.
[1] Lemert, EM (1954). Alcohol and the Northwest Coast Indians. University of California Publications in Culture and Society, vol 2, No. 6.
[2] Davydov Gavriil Ivanovich (1977). Two Voyages to Russian America, 1802-1807. Limestone Press. Translated by Colin Bearne. p. 176. Texte russe books.google.fr/books?id=x3YvAQAAMAAJ&printsec=frontcover&hl=fr&source=gbs_ViewAPI&redir_esc=y#v=onepage&q&f=false
[3] Keaulana Kimo, Scoot Whitney, Ka Wai Kau Mai O Maleka Water from America: The Intoxication of the Hawai'ian People, Contemporary Drug Problems, Summer, 1990:161–194.
[4] La légende de l’okolehao voudrait que les capitaines Nathaniel Portlock et George Dixon aient inventé cette boisson en mai 1786 pour trouver une source de vitamines contre le scorbut en faisant cuire des racines de la plante Ti ou en les laissant fermenter dans un trou creusé dans le sol. En 1791, Portlock accompagne Bligh dans son second voyage pour transporter et transplanter des fruits de l’arbre à pain (Artocarpus altilis) de Tahiti sur l’île de Jamaïque. Ces fruits servent aussi à brasser de la bière dans les îles du Pacifique. Les autochtones utilisaient ces plantes pour brasser de la bière avant l’arrivée des Européens. Leur distillation est en revanche à mettre au compte des Européens.