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Les Puebloans Ancestraux étaient une ancienne culture amérindienne qui s'étendait sur l'actuelle région des Four Corners aux États-Unis, comprenant le sud-est de l'Utah, le nord-est de l'Arizona, le nord-ouest du Nouveau-Mexique et le sud-ouest du Colorado. Les archéologues continuent de débattre sur la date d'émergence de cette culture distincte. L'accord actuel, basé sur la terminologie définie par la classification de Pecos, suggère une période autour du 12e siècle av. n. ère. Donc à une époque où l’agriculture du maïs a déjà diffusé vers le Sud-ouest de l’Amérique du Nord (Judd 1954, 52-63).
Les Anciens Pueblos du Chaco Canyon brassent de la bière de maïs avant tout contact avec des colons Européens. Des tessons découverts à Pueblo Bonito en 2006, datés entre 800 et 1100, portent des traces de fermentation de grains de maïs[1] . Les trois tessons analysés appartiennent respectivement à : 1 pot cylindrique, 1 pichet à décor noir/blanc, 1 bol tacheté de la culture Mogollon (fig. infra). La chromatographie (Gas C./ Mass C.) de ces tessons a été comparée avec celle d’échantillons contemporains de poteries à bière des Tarahumara (Nord Mexique). La similitude de certains composés organiques spécifiques implique que ces anciens récipients ont contenu de la bière de maïs.
En 2007, des traces caractéristiques de fermentation (piqûres et microperforations sur les parois internes des récipients) ont été observées sur des tessons provenant de sites Ancestral Puebloans du Nouveau-Mexique.
Une recherche plus récente menée en 2016 à Casas Grandes (ou Paquimé, Etat de Chihuahua, Mexique) sur les dents de squelettes exhumés lors de fouilles des années 1950-60 a révélé des granules d’amidon et des phytolithes fossilisés dans le tartre. Les phytolithes appartiennent à des variétés de maïs. Les granules d’amidon présentent les déformations caractéristiques de la fermentation alcoolique (gonflement, striures) observables au microscope électronique sous lumière polarisée.
Plus intéressant encore, les 110 squelettes étudiés ont été enterrés à Casas Grandes entre 700 et 1450, période de développement et d’expansion des sites situés dans la vallée de Casas Grandes dans l'actuel état mexicain de Chihuahua. Mais les traces de maïs fermenté n’apparaissent sur les dents que vers 1200 (Medio Period de Casas Grandes). L’adoption de boissons fermentées à base de grains coïncide avec une évolution sociale majeure qui impacte l’économie de subsistance (Avec quelle technique convertir une ressource alimentaire en boisson alcoolique ?), la société (Qui contrôle les stocks de maïs ? Qui décide de convertir les grains de maïs en bière ?), et les représentations collectives (rites, fêtes, comportements collectifs liés à l’ivresse, …)[2] .
“Transformer le maïs en bière pendant la période Medio, cependant, pourrait suggérer un afflux de nouvelles idées - ou peut-être même de personnes - à cette époque, ce qui pourrait indiquer une influence extérieure - soit des étrangers venant à Casas Grandes, soit des locaux voyageant et revenant avec de nouvelles idées.” (David King 2016)
Le 12ème siècle semble être une période charnière pour le Grand Sud-ouest américain. Les évolutions se propagent depuis le centre du Mexique. Casas Grandes devient au 14ème siècle une cité abritant environ 3000 personnes, un comptoir commercial entre le centre du Mexique et le Sud-ouest, un centre de pouvoir politique et le noyau d’une société hiérarchisée.
Les détails historiques de ces évolutions locales et régionales restent encore très flous, de même leurs impacts sur les sociétés amérindiennes d’Amérique du Nord. Le courant général de ces influences techniques et culturelles va indubitablement du sud vers le nord, de la Mésoamérique très dynamique entre les 10ème et 13ème siècle vers le Sud-ouest américain. Le brassage de la bière de maïs est un témoin privilégié de ces évolutions importantes car cette boisson fermentée reflète des changements qui sont de nature à la fois technique, sociaux et religieux. Cependant, il n'est pas exclu qu'une dynamique propre au Sud-ouest américain ait joué un rôle régional. Des chercheurs ont proposé de localiser dans cette région un centre très actif de domestication de plantes alimentaires à une date ancienne. La chronologie de toutes ces évolutions fait l'objet de plusieurs recherches depuis les années 80 (carte infra).
L'étude de la répartition spatiale et chronologique des céramiques à boire dans le site de Pueblo Bonito (Chaco Canyon, Nouveau Mexique) a mis en évidence plusieurs phénomènes. Depuis 900, la forme des récipients varie avec le temps, la nature des boissons et la catégorie sociale[3] . Les plus anciens (600-700) imitent les gourdes végétales. La fréquence des pichets et des jarres cylindriques entre 900 et 1100 indique une période où les boissons fermentées et le cacao venu du Mexique central jouent un rôle majeur dans la vie sociale, les rites et les échanges. L’analyse des jarres cylindriques indique qu’elles servaient à préparer et boire des boissons caféinées comme le chocolat ou le casiné (Black drink). Vers 1100, les vases cylindriques disparaissent pour laisser place aux pots de plus petite taille destinés aux boissons dont la bière de maïs. Casas Grandes ne nous dit pas quand sont apparues les bières de maïs dans la région mais quand elles ont joué un rôle prédominant dans l’organisation des sociétés amérindiennes de la région et dans leurs complexes religieux.
Ces données convergent pour fixer vers le 10ème siècle le moment où la bière de maïs devient l’une des principales boissons fermentées dans le nord du Mexique et le Sud-ouest américain. Un grand décalage chronologique existe entre l’adoption de l’agriculture des Trois Sœurs dans la région vers -2000 et ce rôle central joué par les bières de maïs. Les bières de maïs ne sont pas les premières boissons fermentées apparues sur ces territoires. L’hydromel, les vins de maguey (pulque), de tunas et de fruits sont préparés et incorporés dans les cérémoniels depuis la période classique (300-600) de l’ancien Mexique, et sans doute avant (Waddell 1980, 4). Les bières de maïs sont apparues ou se sont séperées des autres boissons fermentées primitives à une époque inconnue.
Ce décalage chronologique confirme que les mécanismes qui accordent à la bière une fonction centrale ne sont pas seulement techniques (culture du maïs, poterie, fermentation) mais également sociaux-économiques (hiérarchie ou segmentation sociale, pouvoir politique) et religieux (rites de fertilité, sacerdoce)[4] . Ces trois facteurs combinés expliqueraient la longue évolution de deux millénaires qui sépare les premières agricultures fondées sur les Trois Sœurs et la prévalence des bières de maïs dans les sociétés amérindiennes du Sud-ouest qui ne se manifeste pas avant le 10ème siècle. Les dernières étapes de cette évolution ont été étudiées sur la base de données archéologiques, linguistiques et ethnologiques.
? |
300* |
≈1000 |
1600 |
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Complexe agricole des Trois-Sœurs |
Apparition de la bière de maïs |
Le rôle de la bière se renforce avec celui du maïs |
La bière de maïs associée aux élites et aux complexes religieux |
Choc de la colonisation |
Socle primitif des boissons fermentées mixtes |
La bière de maïs émerge parmi les boissons fermentés mixtes |
La bière se détache des autres boissons fermentées (vins, hydromel) |
La bière de maïs devient la boisson principale |
Domination politique espagnole et régression sociale |
* Début de la culture Mogollon, date symbolique sans preuves matérielles concernant l'importance croissante de la bière. |
Deux routes probables ont propagé de proche en proche depuis le nord du Mexique un ensemble de pratiques sociales et de techniques (Waddell 1980, 4 fig. 1.1) : la culture des Trois Sœurs et les techniques associées (irrigation, alimentation, brasserie), les complexes religieux associant plantes alimentaires, rites de fertilité/pluie, et cycles annuels. Ces nouvelles pratiques ont été intégrées aux anciennes : la bière de maïs ne fait pas disparaître le pulque et les autres boissons fermentées à base d'aloès, de maguey, de figues de barbarie, de pitaya et même de raisin sauvage. L’agriculture des Trois Sœurs coexiste avec la collecte des plantes et la chasse. Il en résulte pour le Sud-ouest américain un patchwork de peuples et d’organisations sociales très variées adaptées à leurs environnements. Il se constitue entre le 10ème et le 16ème siècle. Cette reconstruction historique reste cependant assez floue car les données sont parcellaires et très hétérogènes. La séparation entre la bière et les autres boissons fermentées n'est que partielle en Amérique du Nord. Le régime des boissons fermentées mixtes qui caractérise le socle protohistorique des boissons (tout ce qui peut fermenter est mélangé pour préparer une boisson qui est à la fois une bière, un vin et un hydromel) semble avoir persisté jsuqu'à l'époque moderne parmi les Amérindiens[5].
Ce sont à peu près les seules preuves archéologiques attestées à ce jour pour l’Amérique du Nord et la région frontalière du Mexique. La proximité protohistorique des Ancient Pueblos avec le Mexique confirme que la région a été un foyer brassicole autochtone au moins 700 ans avant l’arrivée des Européens.
L'archéologie suggère que les Zuňis habitent leur emplacement actuel, la vallée de la rivière Zuni, depuis 3000 ans. A cette époque, le peuple ancestral Zuni irriguent de minuscules parcelles de terrain pour cultiver le maïs et les autres plantes associées. Depuis quand brassent-ils de la bière de maïs ? Depuis le 8ème siècle au moins selon les données de Pueblo Bonito (Borek 2007), mais certainement avant avec l’évolution de la culture Mogollon entre le 3ème et le 15ème siècle (cf. carte Fermiers et chasseurs-cueilleurs supra).
Les Indiens Hopi avaient un modèle très différent d'utilisation et d'adaptation des boissons alcoolisées. En raison de leur proximité avec d'autres groupes qui utilisaient des boissons alcoolisées, il est probable que les Hopis connaissaient les boissons alcooliques à l'époque protohistorique, mais qu'ils en ont rarement adopté l'usage lors des cérémonies ou des évènements sociaux. Les observations ethnologiques qui décrivent cette absence de boissons fermentées sont trop récentes et contradictoires. Elles reposent souvent sur une confusion entre alcools distillés introduits par les Blancs et effectivement rejetés par les Hopi d’une part, et les boissons fermentées autochtones (Waddell 1980, 24).
[1] Borek, T., Mowry, C. & Dean, G. Analysis of Modern and Ancient Artifacts for the Presence of Corn Beer; Dynamic Headspace Testing of Pottery Sherds from Mexico and New Mexico. MRS Online Proceedings Library 1047, 105 (2007). https://doi.org/10.1557/PROC-1047-Y01-05. (not an academic publication). https://ibook.pub/analysis-of-modern-and-ancient-artifacts-for-the-presence-of-corn-beer-dynamic-headspace-testing-of-pottery-sherds-from.html Review by Tamara Stewart, Ceramic analysis indicates fermented beverage was consumed in New Mexico, American Archeology, vol 12 no. 1, spring 2008, p. 10.
[2] First Evidence of Corn Beer in Southwest Discovered on Teeth From Ancient Burials, interview of David King, 2016. http://westerndigs.org/first-evidence-of-corn-beer-discovered-on-teeth-in-ancient-southwestern-burials/
[3] Crown Patricia (2018, 391-393). Pueblo Bonito a été bâti et occupé par les Anciens Pueblos entre 600 and 1130 dans le nord de l’actuel Nouveau Mexique.
[4] Voir Beer-Studies pour une discussion détaillée sur les développements protohistoriques des principaux bassins brassicoles du monde et le socle des boissons fermentées mixtes.
[5] Archéologie, linguistique et ethnologie n’adressent et ne décrivent pas les mêmes réalités.