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Bière et cosmologie Achuar
La maison achuar est orientée ouest-est, selon la direction générale des rivières de cette partie du bassin amazonien. Cette orientation organise l'espace domestique, les hommes vers la moitié amont, les femmes vers la moitié aval.
La bière est brassée par les femmes dans la moitié féminine de la maison. Les jarres de bière trônent au milieu et ne franchissent la ligne symbolique que lorsque les femmes décident que la bière est prête. Alors elles apportent les jarres à bière dans la moitié masculine.
La bière de manioc sert également de référentiel symbolique à une échelle cosmologique. Les crues périodiques de rivières sont mises en rapport avec la bière en pleine fermentation. Le bouillonnement de la bière la nuit réalise en petit ce que le grondement et le gonflement des cours d'eau fait en grand[1].
Dans toute l'Amazonie, les Pléiades (Musak ) forment un groupe d'étoiles très repérables. Elles disparaissent de l'horizon le soir à l'Ouest et réapparaissent à l'aube dans la direction opposée. Les Achuars conçoivent la Terre comme une grande île flottant sur les eaux. Les Pléiades tombent donc le soir dans l'eau, cheminent par les cours d'eau sous la terre et refond surface à l'aube de l'autre côté de la terre, à l'Est.
Le passage aquatique des Pléiades sous l'île-Terre fait bouillonner les eaux, provoque les crues, tout comme la bière enfle et peut déborder de la jarre de fermentation.
« Les cosmologies amazoniennes déploient une échelle des êtres où les différences entre les hommes, les plantes et les animaux sont de degré et non de nature. Les Achuar de l'Amazonie équatorienne, par exemple, disent que la plupart des plantes et des animaux possèdent une âme (wakan) similaire à celle des humains, une faculté qui les range parmi les « personnes » (aents) en ce qu'elle leur assure la conscience réflexive et l'intentionnalité, qu'elle les rend capables d'éprouver des émotions et leur permet d'échanger des messages avec leurs pairs comme avec les membres d'autres espèces, dont les hommes(5). On reconnaît au wakan l'aptitude à véhiculer sans médiation sonore des pensées et des désirs vers l'âme d'un destinataire, modifiant ainsi, parfois à l'insu de celui-ci, son état d'esprit et son comportement. (Ph. Descola 1996, Les cosmologies des indiens d'Amazonie, La Recherche n° 292, 61-67).
[1] Ph. Descola, La nature domestique. Symbolisme et praxis dans l'écologie des Achuar. 1986 (1ère éd. Singer-Polignac), 2019 (2ème éd. Maison des Sciences de l'homme), p. 72 et 89.