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Pourquoi les peuples amérindiens d’Amérique du Nord devenus agriculteurs semi-sédentaires ne semblent pas être devenus aussi brasseurs de bière de maïs ? Le niveau de complexité atteint par les Cultures du Mississippi il y a un millénaire est comparable à celui des cultures d’Amérique centrale ou andine contemporaines. Toutes maîtrisent les techniques de brassage. La bière y joue un rôle culturel central (cérémonies collectives, rites agraires, affirmation des hiérarchies sociales, etc.)[1].
Le maïs est une plante indigène du continent américain, domestiquée il y a environ 5000 ans dans le centre du Mexique. Un millénaire plus tard, la culture du maïs se répand dans les régions tropicales d’Amérique centrale et du sud. Sa progression en Amérique du nord est plus tardive et plus lente. Les recherches montrent qu’une variété de maïs dite Northern Flint, avec un épi d’à peine 5 cm, est cultivée dans le Sud-ouest américain vers 2100 av. n. ère (Rocheuses, Mesa Verde). Cette technique et les plantes associées (courges, haricots) ont été transmises de proche en proche depuis le Mexique central vers les actuels Arizona et Nouveau-Mexique, contrées plus arides que la région d’origine du maïs qui s’est adapté.
La culture du maïs est attestée vers 800 dans le centre (Missouri, Mississippi) et vers 900 dans l’Est du sous-continent (Appalaches)[2]. La culture du maïs a progressé vers le Nord selon un rythme méconnu. Le maïs est présent sur les bords du lac Ontario vers les années 900-1000. Sa limite la plus nordique est atteinte sur les rives du fleuve Saint Laurent vers 1400. Les peuples de culture iroquoienne et mandan l’adoptent et en font leur aliment principal.
L’analyse de squelettes fossiles montre que la part du maïs dans l’alimentation augmente sensiblement vers 1000-1300 pour les Amérindiens du Massachusetts, d’Illinois, d’Ohio, et de Virginie occidentale (Little 1991, 13)[3].
Partout, la culture du maïs est associée aux haricots et aux courges. Les haricots sont cultivés en Amérique du Nord depuis aussi longtemps que les variétés de maïs, de même la patate douce et le manioc dans le sud du sous-continent. Enfin, les caroubiers (Prosopis, mesquite bean) originaires de cette région du monde ont fourni une importante ressource d’amidon issue de la cueillette des gousses, amidon qui a servi à brasser de la bière dans le sud-ouest américain. Il faut ajouter à cette liste d’autres plantes natives du Sud-ouest comme les chénopodes, les gourdes, le haricot Tepary bean résistant à la sécheresse, ou encore le wapato (pomme de terre indienne, Sagittaria latifolia).
Ces plantes riches en amidon sont la matière première des bières brassées depuis plusieurs millénaires en Amérique du Sud et en Amérique Centrale. Les fouilles archéologiques font sans cesse reculer la date d’apparition de la brasserie dans les Andes, en Amazonie ou en Amérique centrale, apparition qu’on situe actuellement vers -1500, donc bien avant l’agriculture en Amérique du Nord.
On devrait s’attendre à trouver en Amérique du Nord une tradition brassicole aussi répandue à partir des 8ème-10ème siècles quand les variétés de maïs s’adaptent aux climats secs. Le développement culturel et technique des Amérindiens du Nord est comparable. Le complexe culturel du Moyen-Mississippi se développe entre 800 et 1600 au cœur des grandes plaines centrales. L’ensemble forme un réseau commercial et culturel très dense avec des variations régionales et des traits communs. Parmi ceux-ci, la construction de grandes plateformes ou de tertres cérémoniels, des sites d’habitat densément peuplés avec des villages satellites, certains comme la ville de Cahokia, couvrant 16 km2 et regroupant plus de 10 à 15.000 habitants. L’agriculture repose sur le maïs, les courges, les haricots, le tournesol, l’amarante. Les techniques des populations du Mississippi sont avancées : poteries, travail du cuivre, de la pierre, construction monumentale. Leurs structures sociales sont hiérarchisées et les cérémonies collectives très élaborées, autant qu’on puisse en juger par leurs représentations gravées, peintes ou moulées dans le cuivre. Tous les éléments sont réunis pour que la bière et la consommation collective de boissons fermentées soient au centre de la vie sociale et génère une tradition brassicole transmise entre les peuples de la région depuis a minima les années 1200.
Cette corrélation est confirmée pour le Grand Sud-ouest américain (bières de maïs et de caroubes), partiellement pour le Grand Sud-est (bières de maïs). Ailleurs, les sociétés amérindiennes d’Amérique du Nord font exception.
Quelles en sont les raisons ?
[1] Thomas E. Emerson, Kristin M. Hedman and Mary L. Simon, Marginal Horticulturalists or Maize Agriculturalists? Archaeobotanical, Paleopathological, and Isotopic Evidence Relating to Langford Tradition Maize Consumption.
[2] Cutler, Hugh C. and Leonard W. Blake, 1977. Corn From Cahokia Sites. In Explorations into Cahokia Archaeology, edited by Melvin L. Fowler, 122-136. Illinois Archaeological Survey, p. 134. Lustek Robert 2006, The Migration of Maize into the Southeastern United States, in Histories of Maize. Mlutidicsiplinary Approaches to the Prehistory, Linguistics, Biogeography, Domestication, and Evolution of Maize (ed. J. Staller, R. tykot, B. Benz), 321-328. Des restes isolés de maïs sont plus anciens. Nous parlons ici du maïs quand il apparaît intégré dans un système cultural plus ou moins permanent. Des découvertes récentes dans l'Illinois et l'Etat de New-York proposent datent les plus anciens vestiges de maïs vers 100-200 (R. G. Thomson, J. P. Hart, H. J. Brumbash, R. Lustek 2004, Phytolith evidence for twentieth-century B. P. maize in Northern Iroquoia. Northern Anthropology 68).
[3] Etude fondée sur l’analyse du collagène des os et de la proportion des plantes C3 et C4 (le maïs).